Yves Sente et la formule magique

À la veille de la sortie du 29ème tome de XIII, Moscow-Spaso House et de la 30ème aventure de Blake et Mortimer, Signé Olrik, nous avons interrogé le principal intéressé, qui va devoir sortir de sa zone de confort et d’humilité.

Par l'équipe Dargaud

Yves Sente

Les scénarios qu’Yves Sente confectionne avec la dextérité d’un orfèvre ravissent des hordes de lecteurs qui en redemandent depuis 26 ans. Mais qui est donc ce scénariste qui a de l’or dans le stylo-plume ?

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Son nom est Sente, Yves Sente

L’ex-rédacteur en chef, puis directeur aux éditions du Lombard, est devenu, suite à l’envoi – anonyme ! –  d’un projet d’histoire, l'un des dépositaires de la destinée des agents de Sa gracieuse Majesté : Blake et Mortimer.

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Tout commence en 1998, quand La Machination Voronov, dessinée par celui qui deviendra son binôme et ami, André Juillard, est en passe de devenir un carton.

Depuis, le scénariste, qui ne délaisse pas ses propres créations originales pour autant, suit les traces d’un autre belge de renom : Jean Van Hamme.

Ce dernier va lui mettre le pied à des étriers de pur-sang ne demandant qu’à hennir de plus belle : le demi-dieu venu des étoiles, Thorgal, et l’amnésique recherché XIII.

Les ventes des reprises signées Sente ont largement dépassé les 10 millions d’exemplaires vendus.
Pas mal pour un scénariste qui souhaite juste que ses lecteurs passent un bon moment !

Mais comment fait-il ? 

Comment expliquez-vous le succès de la reprise de Blake et Mortimer ?

Yves Sente : Que les choses soient claires : le succès de la série Blake et Mortimer revient à Jacobs, et rien qu’à Jacobs. Nous, les repreneurs, ne faisons que le prolonger, l’extrapoler. Au moment de la reprise, en 1996, il fut décidé de replacer la série dans son jus, au cœur des années 1950. Excellente idée me semble-t-il.

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Blake, Mortimer et le paradoxe temporel

Est-ce un souvenir d’enfance d’aujourd’hui ? 

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Les Blake et Mortimer signés Jacobs n’étaient pas des BD historiques ! D’ailleurs, dans les derniers albums, comme Les 3 Formules du Professeur Sato [N.D.L.R. : dont la première partie a été publiée dans le Journal de Tintin de 1971 à 1972], on est clairement dans les années 1970. 

C’est une sorte de paradoxe : pour Jacobs, Blake et Mortimer était une série contemporaine, pour nous, les repreneurs, c’est devenu une série historique, dans laquelle je respecte certains codes de l’époque : les personnages se vouvoient, utilisent des expressions surannées, et naviguent au milieu de très longs textes ampoulés.

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La madeleine 2.0

Mais il doit y avoir une formule, Professeur Sente ?

Yves Sente : S’il y en a une, c’est de faire du Blake et Mortimer, pas du Jacobs. Ça, lui seul en était capable. Malgré les codes évoqués plus haut, j’essaie de moderniser le récit. Je suis persuadé que si je faisais un scénario exactement comme ils étaient faits dans les années 1950, il nous tomberait des mains aujourd’hui. Ça ressemblerait à un pastiche, ou pire, un copié-collé. 

Nos cerveaux ont évolué, grâce au cinéma, aux séries. Par exemple, on n’envisagera plus de sortir une histoire sans personnage féminin. On ne met pas de personnages féminins aujourd’hui pour casser un code « jacobsien », non ! Jacobs lui-même aurait aimé en mettre dans ses albums, il l’a souvent dit… La question n’est donc pas de respecter ou non Jacobs, mais plutôt de voir comment réaliser un récit lisible en 2024, tout en donnant l’impression qu’on savoure une madeleine des années 1950.

Extrait de Signé Olrik par Yves Sente et André Juillard

Dans vos scénarios, hyper-documentés et construits, il y a toujours un moment « gratuit », qui amène l’attachement aux personnages…

Yves Sente : C’est en effet mon petit plaisir : ajouter ces scènes apparemment inutiles, comme deux personnes qui parlent sans raison apparente, et qui donnent lieu à un moment d’émotion. Émotion qui manquait un peu. C’est André Juillard qui m’a rappelé que Jacobs avait écrit une biographie de ses héros dans L’Opéra de papier. Mon ami avait tellement raison : je me suis replongé dans ces biographies, de manière à densifier leur psychologie via des flash-back. D’un coup, j’ai trouvé qu’ils devenaient « vrais », et attachants. 

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We love XIII

Et XIII ?

XIII - 40 ans de Jean Van Hamme et William Vance

Yves Sente : À l’époque, j’ai beaucoup dialogué avec Jean Van Hamme, qui me disait toujours : « Yves, tu auras beau faire la meilleure histoire du monde, si on ne s’attache pas à tes personnages, elle n’intéressera personne. » Il a tellement raison : on s’en fiche que Thorgal aille aux enfers, ou batte la sorcière et gravisse le mont machin… Ce qui nous importe c’est qu’il retrouve sa famille, c’est de savoir où en est son amour avec Aaricia, et ce qu’il en est de ces dieux qui lui en veulent. On a de la compassion pour lui, on tremble pour lui, avant d’avoir envie qu’il fasse tel ou tel acte de bravoure. Pareil pour Largo Winch.

Et que dire de ce pauvre gars qui n’a toujours pas retrouver sa mémoire ?

Yves Sente : Mais oui ! XIII est le plus mal loti : il a perdu la mémoire, ce qui est déjà horrible en soi, mais en plus, le monde entier lui en veut. Forcément on a envie qu’il la retrouve, qu’il s’en sorte et accède enfin à une vie tranquille, où on lui fout la paix ! Si j’arrive à déclencher l’empathie pour mon personnage principal, la moitié du boulot est faite.

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XIII version Sente : permis de flinguer

Il y a une grande liberté dans « votre » XIII, rien n’est interdit ?  

Yves Sente : Si ! Il y a quelques temps, inspiré par la grande liberté des séries comme Game of Thrones, il m’a pris l’envie folle de tuer des personnages. William Vance et Jean Van Hamme m’ont dit : « Pas question ! »
Je les ai écoutés… mais je cogitais.

Alors, avec Iouri (Jigounov, dessinateur de XIII, N.D.L.R.) on a décidé de créer une série de nouveaux personnages, rien qu’à nous. Comme ils nous appartiennent, on a pu les flinguer, les défigurer, ou les tourmenter à souhait, ce qui nous a permis d’apporter un côté actuel à la narration. On essaie, petit à petit, d’amener XIII, ce quasi-retraité, dans le XXIe siècle !

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À propos de retraite, vous pensez à la fin de XIII ?

Yves Sente : Oui ! Et je sais exactement comment et pourquoi finir ce deuxième cycle. Je peux vous dire qu’en trois albums, ce sera plié !

Vous arrêterez ?

Yves Sente : Je ne sais pas encore… Si, d’ici la fin de la série en cours, je me réveille avec une lumière divine, je proposerai de rempiler. Mais si rien ne vient, je laisserai la place à un autre.

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Belgique : patrie des scénaristes d’aventures

XIII ou Blake et Mortimer représentent une tradition de la BD belge : l’aventure.

Yves Sente : C’est vrai ! Hergé, Jacobs, Peyo, Jean-Michel Charlier, Greg, André-Paul Duchâteau, Henri Verne, Maurice Tillieux, Jean Van Hamme, Jean Dufaux, Philippe Tome,… La plupart des grands modèles de scénaristes de mon enfance (qu’ils soient, par ailleurs, dessinateur ou pas) sont Belges. Cela ne ne m’empêche évidemment pas d’avoir énormément d’admiration pour les scénarios d’aventures de Goscinny, Graton, Jacques Martin, Derib, Cosey et bien d’autres. Peut-être que la petite taille du pays et sa culture si particulière ont-elles donné aux auteurs belges l’envie d’envoyer leurs héros à l’aventure, aux quatre coins du monde? Je ne sais pas.

En tout cas, j’assume avec plaisir faire partie de cette tradition d’auteurs qui aiment raconter des histoires de fiction qui laissent la place toute entière à l’imaginaire et l’aventure pure. Comme ceux de mes modèles, mes récits n’ont (presque) rien à voir avec ma vie ou de quelconques expériences personnelles.

On le sait, une bonne série, c’est avant tout un bon méchant. Dans cette dernière aventure, Blake et Mortimer se font damner le pion par un méchant très malin : un certain Olrik.

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Yves Sente : Oui, nous avions envie, André et moi, de rendre hommage à Olrik, ce méchant génial et très efficace ! 

Pour être aussi fort, et faire tourner les rouages de son entreprise du mal, il faut des moyens. Avec Signé Olrik , nous faisons d’une pierre deux coups : on explique comment Olrik finance ses noirs desseins, et on montre l’humanité de Blake et Mortimer. 

Je suis très triste à l’idée qu’André Juillard ne m’accompagnera plus pour de nouvelles aventures mais je suis content qu’il ait pu terminer cet album, qui sort un peu de la tradition, de l’ordinaire. André a réussi à finir l’album, et de quelle manière !  C’est une belle fin dans tous les sens du terme...

 

Merci à Yves Sente d'avoir pris le temps de répondre à nos questions et retrouvez les nouvelles aventures de Blake et Mortimer et XIII en librairie.

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