Résister ou pas, telle est la question...
Qu’est-ce qu’un héros ? Celui qui ne s’engage pas est-il pour autant un salaud ? À travers le personnage inoubliable de Fernando, Nicolas Barral signe un livre superbe, tout en subtilité et profondément humain. Retour sur la création de Sur un air de Fado
En ce 3 août 1968 au Portugal, le dictateur Antonio de Oliveira Salazar est victime d’une chute qui le laissera impotent. Cet accident préfigure-t-il la fin du régime ? C’est ce que ses opposants osent penser.
Cette nouvelle ne modifie en aucun cas la routine de Fernando Pais, médecin lisboète à la patientèle aisée, qui a juré de se tenir à l’écart de la politique. Une décision au goût amer, prise dix ans plus tôt, qui a mis fin à sa jeunesse militante et à laquelle son mariage avec Marisa, sa compagne de lutte, n’a pas résisté.
Alors qu’il rend visite à un patient au siège de la police politique, Fernando prend la défense de João, une graine de révolutionnaire, venu défier un des agents en faction. Il fait bientôt la connaissance d’Ana, la sœur du gosse, une jeune pasionaria communiste. Le cœur de Fernando vacille à nouveau. L’histoire va-t-elle se répéter ? Saura-t-il cette fois faire preuve du courage qui lui a manqué dix ans auparavant ?
Pour sa première bande dessinée en tant qu'artiste complet, Nicolas Barral puise dans l’histoire récente d’un pays qui nous est proche, les éléments d’une réflexion sur l’engagement. Qu’est-ce que résister ? Par quel processus entre-t-on en résistance ? En France, ces questions restent pour le moment théoriques. Sur un air de Fado nous invite à suivre, sans jugement, le cheminement d’un indécis et sa conquête du courage.
Interview de Nicolas Barral
Quel a été le point de départ de Sur un air de Fado ?
L’idée d’écrire sur le Portugal, et plus précisément sur la dictature de Salazar, s’est imposée à moi après que j’ai lu Pereira prétend, de Tabucchi, au début des années 1990. Cet auteur italien lusophone figurait, avec Saramago et Lobo Antunes, sur la liste des écrivains que ma chère femme m’incitait à lire pour découvrir son beau pays, dont je ne connaissais culturellement pas grand-chose à l’époque, je dois l’avouer.
Je suis tombé sous le charme de Pereira, antihéros solitaire, petit-bourgeois indifférent au sort des malmenés du régime de Salazar. Personnage falot, peu sympathique, lâche et honteux de l’être.
Mais moi ? Quelle serait mon attitude si mon pays connaissait la dictature ? La montée en France d’une extrême droite aux accents vichystes incitait déjà à se poser la question et pourquoi pas à faire œuvre utile. Pourquoi ne pas écrire une fable sur le sujet, un conte philosophique ? Qu’est-ce que résister ? Pourquoi entre-t-on en résistance ? Et, a contrario, ceux qui ne se rebellent pas sont-ils forcément méprisables ? J’ai eu l’idée de mettre en scène deux frères qui représentent deux façons de se comporter. Issu moi-même d’une fratrie, je voyais là l’occasion d’explorer les liens complexes qui relient un cadet à son aîné.
Pour votre premier scénario en tant qu’auteur complet vous avez choisi un sujet complexe. N’avez-vous pas eu envie d’une histoire plus facile pour vous faire la main ?
La première mouture de Sur un air de Fado date de 2005. Je suis content d’avoir laissé mûrir le projet, car le temps a joué en ma faveur. Il m’a permis de rassembler toute la documentation nécessaire (certains ouvrages de référence n’étaient pas parus en 2005, et ma connaissance de la langue portugaise était alors balbutiante), mais aussi d’acquérir le savoir-faire scénaristique pour affronter un récit de 160 pages. Les scénarios pour TaDuc (4 tomes), les adaptations de Léo Malet aux paginations copieuses et la fréquentation des excellents maîtres que sont Tonino Benacquista et Pierre Veys ont fait office de préparation. Par ailleurs, je crois que si je m’étais précipité, mon récit aurait été plus manichéen. En prenant de l’âge, j’ai appris à distinguer les zones de gris qui font les portraits les plus justes parce que les plus nuancés.
Le fait de dessiner votre propre scénario a-t-il fait évoluer votre trait ?
Le fait d’être seul aux commandes m’a permis de supprimer la frontière un peu artificielle entre le crayonné, qui est l’étape préparatoire pour se mettre d’accord avec le scénariste sur les choix narratifs, et l’encrage. Et puis, il y a les questions du rythme, de la manière de placer les silences, de gérer les ellipses, qui sont propres à chacun. J’ai pu adopter ma propre foulée. J’ai été aidé en cela par le format de l’album. Le contrat passé avec mon éditeur ne fixait pas de pagination prédéterminée. C’était important pour atteindre les zones de gris dont je parlais. Voilà pour la forme. Sur le fond, n’étant plus au service des émotions d’un autre, je crois avoir enfin pu fendre l’armure. Sur un air de Fado permet d’accéder au vrai Nicolas Barral, sans fard.
Et ensuite ?
Sur un air de Fado est une histoire complète. Laissons-la vivre sa vie. Mais la fin est ouverte. Alors qui sait ? Il se peut que je n’en aie pas fini avec les frères Pais.
Retrouvez Sur un air de Fado dès le 22 janvier en librairie ! Et, pour patienter, nous vous offrons les premières pages :