Nicolas Barral dresse un portrait en BD de Fernando Pessoa
Après Sur un air de Fado, Nicolas Barral poursuit son voyage au Portugal avec un album profondément humain pour mieux comprendre le parcours de cet écrivain majeur.
Table des matières
À travers le portrait touchant de Fernando Pessoa, l'un des plus grands écrivains du XXe siècle, Nicolas Barral mène une enquête journalistique, et pose la question de la création et de l’engagement.
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Lisbonne, 1935
Fernando Pessoa vient d’apprendre, avec un certain détachement, qu’il est mourant. Il marche alors sur les vagues de la place du Rossio, comme font les enfants, et elles l’embarquent vers le souvenir d’un paquebot dans la tempête au large du cap de Bonne-Espérance, en 1896.
Faire de Pessoa le «héros» d'un roman graphique est un vrai tour de force, mais en donner une peinture aussi subtile et attachante est un acte d'amour.
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La rumeur du mauvais état de Pessoa étant arrivée jusqu’au Diario de Lisboa, un jeune pigiste, Simão Cerdeira, est chargé de préparer sa nécrologie. Ignorant tout de Pessoa et n’osant l’aborder, Simão emprunte des chemins de traverse. Il le suit dans les rues de Lisbonne et part, avec l’aide de ceux qui l’ont bien connu, à la recherche de tous ses âges réunis, de l’enfant inconsolable au mourant détaché.
Back to topL'intranquille monsieur Pessoa
Ce livre n’est pas une biographie, mais l’approche d’un mystère – celui de la création. C’est l’image fragmentée d’un
homme qui écrit sous un nombre incalculable de pseudonymes – appelés hétéronymes –, chacun étant doté d’une vie propre : un style d’écriture, des opinions et un âge distincts de ceux de l’auteur. C’est en signant de leur nom que Pessoa trouve sa liberté.
« N’être qu’un est une prison. » Fernando Pessoa
Quand Simão commence son enquête, Pessoa, proche de sa fin, continue d’écrire ce qui deviendra Le Livre de l’intranquillité, attribué à son hétéronyme Bernardo Soares.
Lorsqu’il n’écrit pas, il boit, fume, plaisante avec son barbier et arpente les rues. Ce qui nous vaut de magnifiques images de Lisbonne, couleurs sépia comme la mémoire (signées Marie Barral). Au bout de cette approche vertigineuse d’une âme complexe – mélancolie, désespoir ironique, détachement et douleur –, le mystère reste entier, mais Pessoa est bien là, terriblement proche.
« Mieux valait pour moi écrire que de risquer de vivre. » Fernando Pessoa
Barral signe avec ce livre un chef-d’œuvre crépusculaire, bouleversant, comme l’était cet homme sans carapace qui s’était réfugié dans l’écriture.
Back to topNicolas Barral raconte Pessoa
Nicolas Barral a pris le temps de parler de sa rencontre avec Fernando Pessoa, il nous raconte ces premiers pas à Lisbonne en compagnie de l'écrivain.
Pourquoi Fernando Pessoa ? La rencontre.
Nicolas Barral : Ma femme étant d’origine portugaise, nous étions à Lisbonne et je traînais dans une librairie comme j’aime le faire partout où je vais. Et il y avait ce livre sur Pessoa avec sa photo en couverture. Il y a eu un effet miroir, je me suis vu en lui. Sa manière de me regarder et sa mélancolie m’ont parlé.
Dans la préface, Simão le jeune pigiste dit : « Je n’ai pas osé l’aborder » C’est l’idée de génie sans laquelle il n’y aurait pas de livre. Comment aborder ce monument de la littérature ?
Nicolas Barral : D’abord en s’imprégnant de l’œuvre et du personnage. La lecture du livre d’Antonio Tabucchi sur Pessoa, Une malle pleine de gens, a été une bonne entrée en matière, et j’ai creusé, creusé, en me prenant au jeu de l’enquête. Et si le livre adoptait la forme d’une enquête justement ? J’ai pensé à Citizen Kane. La figure du journaliste s’est alors imposée. Simão est un peu mon double. Les témoignages qu’il rassemble pour rédiger la nécrologie de Pessoa définissent progressivement les contours du personnage.
Mais je voulais également enfiler le costume de l’écrivain et me promener comme lui, sans but, dans Lisbonne, dans la peau d’un autre – ce qui n’aurait pas été pour lui déplaire – avec l’espoir qu’il en ressortirait peut-être, là aussi, par un travail d’imprégnation digne de l’Actors Studio, une part de vérité.
Sur les photos que l’on a de lui, il a d’ailleurs tout d’un personnage du cinéma muet. Un mixte entre Chaplin, Keaton et Lloyd. Enfin, Pessoa me fournissait l’occasion de réfléchir aux ressorts de l’écriture. Pourquoi écrit-on ? Don ? Vocation ? Malédiction ? Consolation ? Les flash-back m’ont permis, je crois, de remonter à la source de l’intranquillité de Pessoa.
Pourquoi ce mystère des fameux hétéronymes si bien incarnés que Pessoa leur parle ?
Nicolas Barral : On a tous besoin de témoins à son existence, pour lui donner un sens. Alors que faire quand on n’a pas d’amis ? On les invente. Combien ? Autant que nécessaire, le ciel est la limite. Si on est écrivain, ils seront écrivains. Et on leur inventera une œuvre, à tous. Et on leur inventera une vie, à tous. Et l’on s’offrira alors le luxe inouï de pouvoir vivre plusieurs vies.
Car pourquoi se condamnerait-on à être un seul ? Tout le monde ne porte-t-il pas un masque de temps en temps ? Pourquoi ne pas les assumer tous et s’offrir une vision panoramique du monde ? N’est-ce pas le meilleur moyen d’accéder à la vérité des choses ? Peut-être également d’être en paix avec soi-même ? Pessoa était lui mais aussi tous les autres. Tout le monde et personne à la fois. C’est ce qui le rend universel.
Le vrai et la fiction. Les plaisanteries avec son barbier, c’est réel ou imaginé ?
Nicolas Barral : Le barbier a existé. J’ai imaginé le dialogue qu’ils auraient pu avoir. Une tentative pour réconcilier le monde de la coiffure avec celui de la littérature.
Pessoa était un génie mais il lui arrivait de faire le pitre. Par exemple, quand il habitait avec sa sœur, il savait qu’elle le guettait à la fenêtre, le soir. Alcoolique mais jamais saoul, il faisait semblant de tituber, pour ne pas contredire sa réputation, sans doute…
Même s’il contient des éléments biographiques avérés, l’album reste une fiction. Je formule des hypothèses. Je raconte mon Pessoa, ce qui me permet de dire deux mots de Barral, en passant. Pessoa vivait une vie rêvée, il éprouvait « une joie intense » à retrouver ses amis imaginaires. Je serais tenté de m’inclure dans la tribu des intranquilles.
J’ai toujours été plus à l’aise dans la fiction que dans la réalité. Je passe ma vie à cheval entre les deux. Simão a, lui aussi, des points d’attache avec Pessoa. Il n’ose pas aborder Pessoa, il préfère imaginer le dialogue qu’ils auraient eu ensemble, leur complicité – Pessoa, qui était plus heureux quand il était seul, et Simão, dont « la position préférentielle à l’école a toujours été d’être collé au mur pendant les récréations ». Et puis son enquête de jeune pigiste va être déterminante pour lui. Pessoa disait : « La littérature est la preuve que la vie ne suffit pas. » Il y aura un passage de témoin.
Simão assurera la relève, reprenant à son compte cette citation.
Back to topBiographie De Pessoa
Fernando Pessoa naît à Lisbonne en 1888. Son père meurt quand il a 5 ans et son frère quelques mois plus tard. En 1896, il embarque pour l’Afrique du Sud, où sa mère va rejoindre son nouvel époux, consul du Portugal à Durban.
À 17 ans, il revient à Lisbonne, qu’il ne quittera plus. Son œuvre d’écrivain, de critique, de philosophe et de poète étant particulièrement riche, on retiendra qu’il écrit, en portugais et en anglais, sous la plume de dizaines d’hétéronymes (dont l’un écrit mieux que lui, dit-il) des textes peu publiés de son vivant.
Le 29 novembre 1935, c’est Bernardo Soares, son hétéronyme le plus proche, qui annonce la fin : « Je ne sais pas ce que demain me réserve. » Pessoa meurt le lendemain, à l’âge de 47 ans. Après sa mort, on découvre près de 30 000 textes entassés dans une malle, qui seront édités peu à peu. Le Livre de l’intranquillité, son « livre d’impressions décousues », écrit de 1913 à 1935, sera publié en 1982 et connaîtra un succès mondial
Back to topEn librairie
Retrouvez le travail de Nicolas Barral en librairie, en voici les premières pages :
Bonne lecture !
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