Leo : nouvelle planète !
Rencontre avec Léo, le créateur particulièrement attachant des Mondes d’Aldébaran, une saga de science-fiction qui suscite l’engouement du public depuis plusieurs années.
Dans le dernier tome de Bételgeuse, beaucoup de mystères étaient résolus, et l’on apprenait les origines de la Mantrisse. Comment se situe ce nouveau cycle par rapport aux précédents ?
Dans les deux premiers cycles, la Mantrisse jouait un rôle central en tant que source de bien des mystères que devaient résoudre les personnages. Dans la nouvelle aventure qui commence, la Mantrisse est absente. Les mystères et les menaces qui pèseront sur Kim et ses compagnons sont d’un autre ordre. Il s’agit donc d’une histoire entièrement nouvelle, se passant sur une autre planète : la liaison avec les cycles précédents se limite au fait qu’elle est une suite chronologique et que le personnage que l’on accompagne est toujours la jeune Kim, avec quelques-uns de ses amis.
Ce premier tome d’Antarès a une tonalité plus sombre, plus mature aussi. Comment l’expliquez-vous ?
Je pense que c’est une évolution naturelle, inévitable. À force de travailler sur cette série depuis plus de quatorze ans, j’ai eu beaucoup de temps pour peaufiner mon univers imaginaire, pour rendre mes personnages plus concrets et plus complexes. Est-ce que cela m’a conduit à imaginer un récit plus sombre ? Je ne sais pas. Je ne l’ai pas cherché, pas consciemment en tout cas. Mais l’époque que nous traversons n’est pas particulièrement gaie, vous ne trouvez pas ? C’est peut-être l’explication…
Qui dit nouvelle planète dit nouvelles bêtes… Et celles qui peuplent Antarès sont, là encore, plus terrifiantes qu’à l’accoutumée…
Je ne cherche pas forcément à imaginer des bêtes chaque fois plus terrifiantes. Ma préoccupation première est de ne pas me répéter, de me forcer à aller chercher des idées nouvelles qui puissent surprendre le lecteur. Mais la dangerosité de certaines de mes bêtes est un ingrédient important du récit. Cela sert à renforcer l’idée de la fragilité des humains face à la nature sauvage d’une planète inconnue.
Votre incroyable bestiaire est l’une des clés pour expliquer le beau succès de cette série. N’existe-t-il pas une sorte de pression à ce sujet ? Ne vous sentez-vous pas parfois obligé d’en ajouter pour plaire à vos lecteurs ?
Je m’efforce de ne pas tomber dans ce piège. Comme je l’ai dit, les bêtes sont là pour servir le récit et, même si elles peuvent être un élément important, elles n’ont qu’un rôle secondaire, elles servent d’arrière-plan aux drames humains qui se jouent au premier plan.
Comme les célèbres iums de Bételgeuse, certaines bêtes d’Antarès auront-elles un rôle important à jouer ?
Je ne sais pas. Pas pour le moment en tout cas. Les iums étaient un élément central de la trame de Bételgeuse et il n’y a pas un animal qui ait un rôle similaire dans Antarès.
L’intrigue générale est plus sombre. Dès les premières pages, les colons d’Antarès sont victimes d’une menace qui frappe de manière impressionnante…
Je dirais plutôt que l’intrigue est plus complexe, plus réfléchie, pas forcément plus sombre. Quant à la menace qui guette les colons, après l’inquiétante Mantrisse d’Aldébaran et Bételgeuse, je ne pouvais pas proposer quelque chose de moins fort ou de moins impressionnant. Je me suis cassé la tête pour trouver une bonne idée. J’espère l’avoir trouvée… !
Quelques scènes se passent sur Terre, à New York et à Paris. Climat détérioré, guerres religieuses, etc. Votre vision du futur de notre propre planète n’est pas très optimiste…
Tout à fait. Mais je ne pense pas que je noircis le tableau de façon exagérée. Au contraire, d’après ce qu’on peut voir de nos jours, tout porte à croire que si on ne fait rien, notre planète pourrait se trouver dans la situation que je décris bien avant les années 2190 de mon histoire. En fait, on peut m’accuser d’être trop optimiste !
On vous définit parfois comme un auteur “écolo”. Avez-vous une âme de militant ?
J’ai été un militant engagé dans ma jeunesse. Aujourd’hui, je me contente d’être un auteur de BD. Je n’ai aucune intention de faire du prosélytisme à travers mes histoires. Je n’aime pas les récits qui n’existent que pour faire passer des messages. Cela dit, je ne peux pas m’empêcher de répercuter ma façon de voir le monde dans mes BD, c’est inévitable. Quant à être un auteur écolo, on m’a souvent dit ça. C’est sympa mais je trouve que c’est un peu usurpé. Dans mon récit, les humains sont peu nombreux et n’ont pas encore eu le temps de provoquer trop de dégâts sur les planètes où ils viennent de s’installer. En revanche, confrontés aux situations épineuses que j’ai un malin plaisir à créer, ils vont souvent se comporter de façon très critiquable envers leurs semblables. Ils vont reproduire des comportements déplorables qu’on a l’habitude de voir souvent aujourd’hui autour de nous. C’est la critique de ce genre de bêtise humaine – qui ne se limite pas à l’écologie – qui prédomine dans mes histoires.
À côté d’une Terre à bout de souffle, les planètes que vous visitez apparaissent comme des nouveaux édens. Parce qu’elles n’ont pas encore été salies par l’homme ?
En réalité, je ne fais que transposer dans un futur imaginaire une expérience que l’humanité a déjà vécue avec la découverte de l’Amérique. Les Européens laissaient une Europe aux prises avec les guerres, les famines, les persécutions religieuses pour arriver dans une Amérique paradisiaque, intacte, regorgeant de richesses. Que font-ils ? Ils se comportent comme à l’ordinaire : ils massacrent les Indiens, ils pillent, ils se tuent entre eux, ils répandent le malheur en voulant imposer leurs croyances religieuses par la force. De nos jours, il est de bon ton de juger sévèrement le comportement des Européens en Amérique à l’époque des découvertes. Mais si on avait réellement la possibilité de coloniser de nouvelles planètes aujourd’hui, je doute fort que l’on se comporterait de façon irréprochable. C’est ce que j’essaie d’aborder dans mes séries.
On retrouve Kim, qui s’est imposée comme l’héroïne de cette série. Mais elle a beaucoup changé, elle est plus grave. Celle que l’on avait connue motivée et combattante est aujourd’hui parfois désabusée…
Dès le départ, j’ai eu le souci de ne pas faire de Kim une espèce de “super woman” sans peur et sans reproches. J’ai voulu qu’elle ait ses faiblesses et ses défauts pour la rendre plus proche, plus humaine. Dans Bételgeuse par exemple, confrontée à des situations qui parfois la dépassent, elle peut être excessive, simpliste. Et j’ai voulu aussi que le personnage évolue avec le temps. Au début, elle n’est qu’une adolescente naïve. Les années passant, elle va devenir adulte, va mûrir, et les coups qu’elle va recevoir au long de ses aventures vont forcément laisser des traces. Comme dans la vie réelle, non ? Il ne faut pas oublier que quand l’histoire débute, Kim vient de vivre une expérience très dure sur Bételgeuse. Elle est fatiguée, c’est normal. Mais rassurez-vous, Kim continue à être une femme forte et déterminée. C’est mon côté féministe…
À côté de Kim, on retrouve d’autres têtes connues. Utiliser tous ces personnages récurrents, était-ce une évidence pour vous dès le départ ou cela s’est-il imposé au fil de l’écriture ?
À l’origine, j’avais pensé utiliser dans chacun des cycles des personnages différents. Ce n’est qu’au cours de la réalisation des albums d’Aldébaran que je me suis rendu compte que ce n’était pas une bonne idée. Mettre cinq tomes pour créer des personnages, faire en sorte que les lecteurs s’attachent à eux et, à la fin, les faire disparaître pour repartir de zéro dans le nouveau cycle m’est apparu comme un beau gâchis. J’ai donc décidé de garder Kim, mon personnage préféré, et de faire réapparaître quelques-uns des autres en fonction des besoins du récit. C’est ce que je fais dans Antarès.
Dans les trois cycles, on retrouve une situation de départ identique : un groupe de gens isolés sur une planète inconnue…
Parce que c’est une situation très riche en tant que source de développements dramatiques. Mais il y a des différences importantes. Dans Aldébaran, on avait une population assez importante confrontée à un siècle de totale rupture de contact avec la Terre. Dans Bételgeuse, c’était le cas d’un petit groupe venant d’arriver sur une planète et qui, victime d’une terrible catastrophe, se voyait lui aussi coupé de tout contact avec la Terre. Dans Antarès, le lecteur pourra être présent lors des premiers contacts des pionniers avec la planète inconnue. Ils ne seront pas coupés de tout contact avec la Terre mais ils n’auront pas moins de problèmes à affronter. Pauvre Kim, parfois je me demande si je n’exagère pas en l’obligeant à braver autant de périls et à supporter autant de tourments. Ça frôle le sadisme, ça (rires) !
En dehors de la menace extraterrestre, les méchants de cette histoire ne sont plus des militaires, comme dans Bételgeuse, mais des hommes de religion…
Il y avait déjà un peu de ça dans Aldébaran. Je ne peux pas m’en empêcher. C’est le fruit du choc que j’ai ressenti, de l’indignation qui m’a assailli avec l’avènement du gouvernement Bush. Comment est-ce possible que le peuple le plus riche et le plus puissant du monde élise par deux fois des dirigeants à ce point bigots, sectaires, limite messianiques ! Pendant l’écriture du scénario, je me demandais parfois si je n’étais pas en train d’exagérer, de trop caricaturer la bigoterie de mes méchants. Puis en regardant le journal, je me rendais compte que la réalité était bien pire, que je n’exagérais pas du tout. C’est effrayant !
Pour finir, l’intrigue principale d’Antarès est-elle déjà ficelée ou vous laissez-vous la liberté d’évoluer à votre guise ?
L’intrigue principale, je l’ai dès le départ. J’ai besoin de ça pour pouvoir travailler sinon ce serait l’angoisse. Mais j’ai appris au fil des ans à ne pas trop vouloir tout prévoir dans le détail. Il faut laisser un peu de marge pour les inspirations soudaines, pour l’inévitable évolution que l’on traverse pendant l’élaboration de la série. Un cycle de cinq tomes, c’est long à réaliser : sept, huit ans minimum. Bien des choses changent dans la tête d’un auteur durant une telle période…
Rodolphe Lachat