Leo, l’inventeur de mondes
Leo a su bâtir une œuvre riche nourrie par son humanisme et son rejet de tous les totalitarismes. Deux intégrales disponibles : Aldébaran et Le Retour sur Aldébaran
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De Trent aux Mondes d’Aldébaran, de Dexter London à Kenya ou de Mermaid Project à Amazonie, Leo a su bâtir une œuvre riche mêlant anticipation, aventure et fantastique, peuplée de femmes fortes et d’animaux fabuleux, nourrie par son humanisme et son rejet de tous les totalitarismes. À 78 ans, il n’a pas encore dit son dernier mot…
Les amateurs de bonnes histoires ont de la chance. Luis Eduardo de Oliveira, alias Leo, aurait pu devenir ingénieur. Ou militant politique à plein temps. Ou encore publicitaire. Il est devenu auteur de bande dessinée, et personne ne s’en plaindra, bien au contraire. Né en 1944 au Brésil, à Rio de Janeiro, il passe sa jeunesse avec un crayon à la main.
Je dessinais tout le temps, j’imaginais mes propres histoires et je copiais aussi des images d’animaux, ce qui m’a peut-être servi plus tard pour Aldébaran
Léo
Après ses études, il se consacre à une activité militante au sein de la gauche brésilienne. L’heure est aux lendemains qui chantent. Hélas, Leo va vite déchanter. Pour ne pas être arrêté par la dictature militaire de son pays, il doit s’exiler au début des années 1970. Direction le Chili, d’abord. Puis, quelques mois avant le coup d’Etat de Pinochet, l’Argentine. En 1974, il rentre au Brésil. Avec son CV truffé de trous, difficile de prétendre à une carrière d’ingénieur… C’est l’occasion de revenir à sa première passion : le dessin.
Illustrateur pour une entreprise américaine, il est aussi publié dans la presse. Il réussit à placer une histoire de science-fiction dans O Bicho. C’est dans les bureaux de cette revue qu’il tombe sur une pile de numéros de Pilote et de Métal hurlant. Pour Leo, c’est un choc visuel. Il n’a jamais vu de pareils dessins. Il ne savait même pas que l’on avait le droit de dessiner de cette manière… Sa décision est prise : son avenir est en France. Nous sommes en 1981. Une nouvelle vie commence !
Back to topNaissance d’un univers
Les premiers temps sont rudes. Leo doit se contenter de quelques planches publiées dans Pilote et L’Écho des savanes. Pour (sur)vivre, il se lance dans la publicité. Jusqu’à ce jour de 1986 où son téléphone sonne. Au bout du fil - les portables n’existent pas encore -, un certain Jean-Claude Forest. Le créateur de la mythique Barbarella l’invite à rejoindre Okapi, un magazine pour la jeunesse.
C’est dans ces pages qu’il sera repéré par le scénariste Rodolphe, qui lui propose de dessiner le scénario de Trent, dont le premier album paraît en 1991. Même si la série privilégie l’action, elle laisse entrevoir cet humanisme et cette mise en scène des sentiments que l’on retrouvera bientôt dans Les Mondes d’Aldébaran. Cette fois, la carrière de Leo est lancée pour de bon !
Back to topUne certaine Kim Keller
Deux ans plus tard, il réalise un vieux rêve : il signe le premier tome d’Aldébaran, une histoire d’anticipation qu’il avait en tête depuis longtemps. S’il s’avoue grand amateur de science-fiction, Leo ne goûte guère le « space opera » à la Star Wars. Il puise plutôt son inspiration du côté de romans qui s’interrogent sur notre humanité, comme Solaris, de Stanislas Lem (dont les deux adaptations au cinéma, par Andreï Tarkovski puis Steven Soderbergh, l’ont laissé de marbre), ou Spin, écrit par Robert Charles Wilson.
L’héroïne d’Aldébaran est une adolescente, Kim Keller, que l’on voit grandir et s’affirmer jusqu’à devenir une femme hors du commun. Le récit commence dans le petit village d’Arena Blanca. Celui-ci pourrait être situé au Brésil, et son décor familier est loin d’évoquer un univers futuriste. Pourtant, nous sommes transportés à des milliers de kilomètres de la Terre, sur la planète Aldébaran-4. L’air de rien, Leo s’apprête à entraîner son lecteur dans une épopée qui renouvelle la bande dessinée de science-fiction. Après Aldébaran viendront Bételgeuse et Antarès, ainsi qu’une série parallèle, Survivants. Puis Leo enchaînera avec Retour sur Aldébaran, un triptyque dans lequel Kim partage la vedette avec une autre jeune femme, Manon Servoz.
Et avec Neptune, Leo ajoute un nouveau cycle des Mondes d’Aldébaran : un huis clos haletant à bord d’un vaisseau spatial en perdition…
Après ses aventures extraterrestres avec Kim et ses compagnons, Manon est de retour sur Terre. Elle a obtenu son diplôme d’agent spécial de l’ONU quand une station en orbite observe l’arrivée d’un vaisseau d’origine inconnue ; celui-ci s’immobilise soudainement au-dessus de notre planète. L’ONU fait appel aux forces spéciales : Manon est engagée pour une mission périlleuse, et rien ne va se passer comme prévu !
La saga des Mondes d’Aldébaran totalise 26 albums à ce jour, soit plus d’un millier de pages.
Back to topLes mondes de Leo
Un auteur d’une autre trempe que Leo se serait contenté de se consacrer à cet univers déjà bien étoffé. Ce serait mal connaître l’auteur brésilien, créateur infatigable dont la bibliographie va s’enrichir, au fil des ans, de plusieurs séries. Il a ainsi dessiné et co-scénarisé, avec son complice Rodolphe, l’épopée de Kenya.
Celle-ci plonge le lecteur dans un univers mêlant l’aventure, le mystère et le surnaturel, le tout mâtiné de créatures animales hors norme et donnant lieu à « une histoire fantastique pleine de choses bizarroïdes », pour reprendre l’expression de son créateur. Kenya a été suivie par Namibia et Amazonie et aujourd'hui Scotland toujours écrites avec Rodolphe, mais dont le dessin a été confié à Bertrand Marchal. Pour le dessinateur espagnol Sergio Garcia, il a ensuite imaginé Dexter London. « Une aventure délirante », dixit Leo, située dans un monde imaginaire qui ressemble fort à l’Afrique des années 1940 et dont le héros est un aventurier… raté.
Il est aussi le co-scénariste de Mermaid Project et de Mutations, avec Fred Simon au dessin. Une histoire de manipulations génétiques située dans un monde futuriste pas si lointain (demain peut-être, après-demain au plus tard) dans lequel, à la suite d’un chamboulement climatique et économique, les rôles sont inversés entre les États occidentaux et les pays du tiers-monde, tandis que les immigrés actuellement exploités tiennent le haut du pavé. Pour mener à bien cette série, Leo s’est associé à Corine Jamar. Si elle a signé le scénario de la trilogie Les Filles d’Aphrodite, dessinée par André Taymans, elle est aussi auteure de livres pour enfants, de nouvelles et de romans, ce qui lui permet d’apporter un regard original sur l’écriture d’une histoire.
Leo est également le scénariste - en solo, cette fois – de Terres lointaines et Ultime frontière, dessinés par Icar, et de La Porte de Brazenac, un album mis en images par Patrick Pion et co-écrit avec Rodolphe. Leo s’est même permis une petite infidélité à son éditeur de cœur, Dargaud, pour signer chez Delcourt avec le même Rodolphe la série Centaurus, dessinée par Zoran Janjetov.
Le prolifique Leo s’est imposé tardivement dans la bande dessinée. Aujourd’hui, même s’il a franchi le cap des 70 ans, il se considère toujours comme un « jeune » auteur, et il est loin d’avoir épuisé son envie, ses idées et son énergie.
Back to topUne œuvre cohérente
Son œuvre, si elle est foisonnante, garde toute sa cohérence. D’une série et d’un album à l’autre, il ne cesse d’explorer des thèmes qui se répondent. La science-fiction, l’aventure et le fantastique constituent ses genres privilégiés. Il offre un rôle de premier plan à ses personnages féminins, qu’il s’agisse de Kim et de Manon, les héroïnes des Mondes d’Aldébaran, de Kathy (Kenya) ou de Romane (Mermaid Project et Mutations). Les femmes de Leo savent ce qu’elles veulent. Elles n’ont pas peur d’affirmer leur désir ni d’assumer leur fragilité. Rien d’étonnant ainsi si bon nombre de ses lecteurs sont des… lectrices. D’Aldébaran à Kenya ou Terres lointaines, il ne cesse de mettre en scène un bestiaire fantastique peuplé de créatures fascinantes, qui constitue l’une de ses marques de fabrique.
S’il se nourrit de ses expériences personnelles, Leo ne souhaite pas pour autant faire passer un message politique à travers ses albums. Il cherche avant tout à raconter de bonnes histoires. Ce qui ne l’empêche pas d’être porté par son humanisme, son rejet des dictatures et sa méfiance envers les religions. Arpenteur infatigable d’univers qui ne cessent de se renouveler, Leo s’affirme à coup sûr comme l’un des auteurs les plus imaginatifs et les plus stimulants de la bande dessinée contemporaine.
Par Christophe Quillien
Bonne lecture
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