Les Mondes de Leo - l'interview intégrale
La suite de l'interview de Leo parue dans Dargaud Le Mag n°23
Il y a quelques sagas qui construisent notre imaginaire, et incarnent à elles-seules la science-fiction en bandes dessinées. L’épopée des Mondes d’Aldébaran fait partie du nombre. Et Leo, qui publie le 22
Cela fait un quart de siècle que vous développez l’univers d’Aldébaran. Retour sur Aldébaran est le 22e album de cette saga : aucune lassitude ?
Aucune ! C’est vrai que cela fait longtemps que je vis dans ce monde-là, et c’est justement pour cette raison que ces personnages sont devenus des amis très proches. Je n’ai pas du tout envie de les abandonner.
Et puis cette « famille » ne cesse de s’enrichir. Dans la série Survivants j’ai par exemple introduit le personnage de Manon, que j’ai trouvé captivant. Alors j’ai eu envie de lui faire rencontrer mon personnage fétiche : Kim.
Les deux personnages que vous citez sont des femmes. La plupart de vos héros, en fait, sont des héroïnes… Pourquoi attribuez-vous si souvent des premiers rôles féminins ?
Ce n’est effectivement pas un hasard. Mes convictions féministes, c’est peut-être le seul ingrédient que j’ai consciemment mis en valeur dans mes histoires. Sortir des codes machistes qu’on voit dans d’innombrables BD et films (même si ces derniers temps la chose s’est atténuée) est un choix délibéré.
J’ai toujours trouvé insupportables ces scènes où le héros masculin est gêné dans l’action par une femme, forcément fragile. C’est incroyable le nombre de films où, si un couple doit fuir en courant, l’homme tient la femme par la main, comme si elle était incapable de courir toute seule…
Donc, en réaction, je mets en scène des femmes fortes, habiles, courageuses, libres. Accessoirement, je préfère mille fois dessiner une belle femme aux formes agréables qu’un mec musclé ! Question de goûts…
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À côté du féminisme, il y a bien d’autres thèmes qui vous sont chers : l’écologie, la colonisation, la liberté (ou la dictature)…
En réalité, quand j’imagine mes histoires – et je crois que c’est le cas de la plupart des scénaristes – je me préoccupe seulement de créer un récit prenant et amusant, qui va toucher le lecteur. Le reste vient « automatiquement » sans que je m'en rende vraiment compte. Mais il est évident que mes sensibilités personnelles, ma façon de voir le monde, vont influencer le récit. C’est après-coup, qu’on m’a fait remarquer que mes histoires étaient écologistes, éprises de liberté, etc.
Malgré le fait que vos histoires relèvent de la science-fiction (ou qu’elles comportent des éléments « fantastiques »), on sent que vous avez mûrement réfléchi à la faune, la flore, la technologie… Un héritage de votre formation scientifique ?
Mes études d’ingénieur m’ont sans doute conduit à y accorder de l’importance. Mais je crois que la raison principale est avant tout ma préoccupation de faire en sorte que le lecteur soit plus facilement pris par le récit, qu’il soit conduit à « croire » en ce que je raconte.
J’ai toujours été sensible aux récits de science-fiction plus réalistes, plus proches de nous, d’auteurs comme Arthur Clarke, Stanislas Lem, les frères Strougatski… Bien plus en tous cas qu’aux histoires dans lesquelles le héros doit sauver l’humanité contre les « forces du mal » à coups d’épées laser...
Curieusement, alors que vos décors sont donc très réalistes, votre dessin est très stylisé, et pas très typé « SF ». C’est voulu ?
Au départ, c’est une question de style naturel, j’ai toujours dessiné comme cela. J’aime aussi que mes histoires soient « faciles à lire », qu’on comprenne aisément ce qui se passe. Cela commence évidemment dans le scénario et le découpage, mais le dessin est également déterminant.
C’est vrai que mon style n’est pas très SF, mais finalement mes histoires non plus ne sont pas de la science-fiction pure et dure, elles ont un côté plus réaliste, plus « calme », où l’action en soi et les scènes spectaculaires n’ont pas un rôle central. Et je trouve que mon style colle bien à ce type de récit.
Entre Aldébaran ou Mutations côté SF, et les séries avec un fond plus réaliste (Trent, Amazonie…) sont-ce les mêmes méthodes de travail, les mêmes exigences ?
La vraie différence entre les séries qui composent Les mondes d’Aldébaran et les autres c’est que dans les premières je suis le seul auteur. Pour les autres, non seulement elles sont dessinées par des collègues mais, surtout, je travaille avec un autre scénariste : Rodolphe pour les séries Kenya et ses suites Namibia et Amazonie, et Corine Jamar pour Mermaid Project et sa suite, Mutations.
En collaboration avec un autre scénariste on arrive à écrire des histoires bien différentes de celles qu’on est capable d’écrire tout seul. C’est une expérience enrichissante. Et si l’autre scénariste est quelqu’un de bien plus expérimenté, comme Rodolphe, ça t’aide en plus à perfectionner ta technique d’écriture !
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Avec Rodolphe, en particulier, c’est une histoire qui dure… Comment fonctionnez-vous ?
La collaboration avec Rodolphe s’est faite tout naturellement. Ma première série au début de ma carrière a été avec lui, Trent, et je n’étais que le dessinateur. Puis on a eu l’idée de faire Kenya en l’écrivant ensemble. Notre travail à deux m’a beaucoup plu, on aime le même genre de BD, on a des références communes, en dépit du fait qu’il soit Français et moi Brésilien.
Du coup, notre travail à deux se fait de façon aisée, on se comprend très vite. C’est ainsi que nous avons décidé de continuer avec Namibia et ensuite Amazonie, mais avec Bertrand Marchal au dessin, car je ne pouvais plus tout assurer sans trop retarder la sortie des albums.
Le cas est différent avec Corine Jamar ?
Effectivement. J’avais juste une vague idée d’histoire dans la tête, où le personnage principal était une femme policière, et Corine était une amie écrivaine dont j’aimais les personnages, des femmes très intéressantes. Je l’ai donc invitée à écrire ensemble Mermaid Project avec son héroïne, une femme flic, que je voulais ressemblant aux personnages de Corine. Ça a été un grand plaisir de travailler avec elle.
Et ce n’est pas trop dur, en tant que dessinateur, de laisser d’autres auteurs donner vie à vos idées ?
Non, je dois reconnaître que j’ai eu de la chance. Pour dessiner Namibia, il fallait un dessinateur réaliste capable de reprendre un personnage déjà existant, miss Kathy, et d’entrer dans l’ambiance générale de ces récits qui se passent dans les années 1940. Pas évident, les bons dessinateurs réalistes sont rares. Bertrand Marchal, s’en est sorti brillamment. Chaque fois qu’il envoie un lot de planches, c’est un vrai plaisir !
De son côté, Fred Simon (qui illustre Mermaid Project et Mutations), nous a sidéré dès le départ avec ses personnages très expressifs et ses somptueux décors. La série lui doit énormément : il a su créer un climat, une ambiance particulière qui colle parfaitement au récit.
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2018, un grand cru pour Leo !
Ce n’est pas un, ni deux, mais trois albums que Luiz Eduardo de Oliveira, alias Leo, publie cette année.
Amazonie, tome 3 : la suite des aventures de Kathy Austin, avec son complice Rodolphe en co-scénariste et Bertrand Marchal au dessin, dans les profondeurs de la jungle brésilienne
Mutations, tome 1 : après les 5 tomes de Mermaid Project, Romane et El Malik reprennent du service, toujours avec la collaboration de Corine Jamar (scénario) et Fred Simon (dessin)
Retour sur Aldébaran, tome 1 : l’indomptable Kim rencontre la jeune Manon, dans ce nouveau cycle des Mondes d’Aldébaran.