Le Cadet des Soupetard et Lie de Vin
Découvert au début des années 1990 avec la série Le Cadet des Soupetard (Dargaud), Olivier Berlion accomplit ensuite un parcours sans faute en signant - toujours en compagnie d'Eric Corbeyran - la série Sales Mioches (Casterman) puis le remarquable (et remarqué) album Lie-de-vin. En octobre est sorti le deuxième tome d'Histoires en ville (Glénat) dont il est à la fois le dessinateur, scénariste et coloriste.
On a le sentiment qu'il y a deux Berlion: celui "jeunesse" avec Le Cadet de Soupetard et Sales Mioches, et celui "adulte" avec Lie-de-vin et Histoires d'en ville…
Ce que je dessine ne reflète pas forcément ma personnalité, mon dessin s'adapte à l'histoire que je raconte. Avec Soupetard et Sales Mioches, j'ai adopté un dessin qui évoque une vision de l'enfance un peu nostalgique parce que ça s'adaptait aux scénarios d'Eric Corbeyran. Mon style s'adapte en fonction des histoires, et non l'inverse.
Mais l'étiquette "jeunesse" vous a longtemps collé à la peau…
Il se trouve que c'est Soupetard qui a d'abord été accepté par les éditeurs, en l'occurrence Dargaud. Par la suite, j'ai dû batailler pour sortir de cette seule étiquette, j'ai essayé de casser cette image peu à peu, déjà avec Sales Mioches qui est moins jeunesse avec un dessin plus "académique". Mais, bien sûr, c'est Lie-de-vin qui a été l'étape décisive. Je ne voulais pas rater ce passage!
Lie-de-vin a été le déclic?
Je me suis surtout aperçu, à ce moment-là, que la BD pour enfants peut devenir un ghetto. Quand Lie-de-vin est sorti, j'ai rencontré des personnes que je n'avais jamais vues avant. Je me suis rendu compte à quel point le champ de la bande dessinée pouvait être plus large! Et puis, détail amusant, le téléphone a commencé à sonner plus souvent, les éditeurs se sont soudainement montrés plus réceptifs à mon travail… Lie-de-vin a finalement surtout modifié ma perception de la BD et une certaine vision d'un marché. Mais au niveau du travail, j'ai toujours su que je pouvais faire un album pour adulte, c'est une question de maturité…
Question de confiance?
Oui, aussi, et puis cet album, qui a été scénarisé par Eric Corbeyran, m'a sans doute incité un peu plus à signer mes propres histoires. Le succès a aussi engendré ses contraintes, je n'avais pas prévu autant de bonnes réactions, heureusement je m'étais engagé sur mon nouveau projet, ce qui m'a empêché d'être paralysé. Ceci dit, le succès de Lie-de-vin a aussi été une contrainte parce que tout le monde m'attendait au virage…
Pourquoi signer vos propres histoires ?
J'ai toujours dit à Eric (Corbeyran) qu'un jour ou l'autre je signerai mes scénarios, il le savait. Et Lie-de-vin m'ayant donné une nouvelle crédibilité dans la profession, c'était le moment d'essayer. Et puis on finit forcément par avoir une forme de frustration à dessiner les histoires des autres, c'est naturel, ça ne correspond pas toujours à votre façon de voir les choses, même si ça se passe bien.
Histoires d'en ville est un polar urbain. Dans sa construction on pense à un film comme Smoke…
Au départ j'avais un sujet qui n'était en aucun cas inspiré de quoi que ce soit. Et puis j'ai vu plusieurs films qui sont construits de cette façon avec des destins qui se croisent autour d'un lieu qui sert d'épicentre à ces rencontres. Tarantino aussi m'a influencé, James Ellroy, Jean-Claude Izot, pour l'écriture et un certain polar français….
Histoires d'en ville, comme Sales Mioches, se déroulent à Lyon. Vous n'avez pas peur qu'on vous colle maintenant une étiquette régionale?!
Sur Sales Mioches, c'est ce qui est en partie arrivé. Et là, ça m'a franchement gêné… Réduire une série à un lieu, c'est pénible. On s'est servi de la ville de Lyon comme décor parce que c'est celui que je vois tous les jours mais point. C'est quand même dommage de voir que quand une histoire se déroule à New York ou à Paris, on ne met pas cet argument en avant alors que là il y a un effet régional inévitable et réducteur. Histoires d'en ville est différent: ça se passe dans une banlieue qui pourrait être n'importe où ailleurs, il n'y a pas de références précises à la ville. D'ailleurs, avec cette série, personne ne me parle vraiment de Lyon à part la presse locale, c'est inévitable.
Vous n'avez pas l'impression de vous être dispersé en travaillant pour trois éditeurs différents?
(Rires) Au départ ce n'était pas prévu. Quand j'ai débuté chez Dargaud avec Soupetard et que nous avons proposé Sales Mioches, Dargaud nous a répondu qu'il était difficile de faire un "Soupetard bis", les deux séries se ressemblant trop. Casterman a dit oui. Et puis des événements se sont passés chez cet éditeur, tout le monde le sait. Il faut savoir que si les auteurs changent parfois, c'est aussi le cas chez les éditeurs et ce n'est jamais très bon pour un auteur, c'est un élément déséquilibrant de ne plus avoir affaire aux mêmes personnes. Après Lie-de-vin publié par Dargaud, j'ai envoyé Histoires d'en ville à plusieurs éditeurs. Glénat a sans doute été le plus réceptif et puis, je ne m'en cache pas, la question financière a joué. Mais c'est vrai que gérer cette relation entre trois éditeurs est parfois compliquée.
Vous lisez beaucoup, je crois. Des coups de cœurs?
Oh la! la!… Disons qu'il y a les valeurs sûres comme Tardi et plein d'autres…. Parmi les auteurs récents, j'aime bien Moynot ou Davodeau, ils savent parfaitement bien raconter des histoires. Il y a aussi Tronchet qui me faut hurler de rire, mais, franchement, il y aurait bien d'autres noms que j'aimerais citer… En tout cas ce n'est pas forcément parce que l'on apprécie quelqu'un qu'on essaie de faire pareil. Ah oui, tiens, un album que j'ai lu récemment et que j'ai bien aimé: La Cavale du lézard par TBC. Très fort.
On parle d'un projet que vous auriez, un projet avec une pointure du roman… Info, intox?
Disons que rien n'est fait à ce jour, rien n'est signé, mais c'est vrai qu'un éditeur a provoqué cette rencontre et le contact s'est bien passé. Ça m'intéresserait d'associer nos univers, la vision qu'un romancier peut avoir de la bande dessinée est différente de ce que l'on rencontre avec les auteurs qui travaillent uniquement dans ce milieu. Ils ont un regard plus neuf, une autre forme de richesse. On verra bien…
Dernière question: si vous n'étiez pas auteur, quel métier feriez-vous?
Disons… éditeur! (Rires)
François Le Bescond