Un “Signé” Vehlmann

Par l'équipe Dargaud



Son diplôme d'ESC Nantes en poche, Fabien Vehlmann réalise vite que la vie est bien trop courte pour s'ennuyer dans une vie de cadre bancaire ou autre joyeuseté de ce genre : non, c'est décidé, un jour il deviendra scénariste de BD ! Pari aujourd'hui réussi puisque Vehlmann est rentré par la grande porte en signant coup sur coup des albums chez Dupuis avec Bodard (Green Manor), Dargaud avec Gwen (Samedi & Dimanche) et, en octobre, au Lombard avec Gazzotti & Meyer (Des lendemains sans nuage). Et ce n'est pas fini…



Vous avez fait vos débuts dans Spirou. Le journal de votre enfance ?



Je lis effectivement Spirou depuis que je suis tout gamin. Faut dire aussi que c'est une tradition familiale : chez nous, on lit Spirou de père en fils, sinon on est fouetté (rires) ! Je me rappelle encore de l'émerveillement avec lequel j'ai découvert des séries telles que Les Innommables, Soda, ou encore Le Bestiaire fantastique de Pierre Dubois et Hausmann. Autant de petites pierres précieuses qui ont nourri mon imaginaire. Du coup, vous pouvez imaginer ma joie quand mes premières pages ont été publiées dans ce journal. Et puis la rédaction est vraiment ouverte à tous les délires, ce qui m'a permis d'essayer plein de styles différents. Spirou est vraiment un des derniers “ laboratoires ” où de jeunes auteurs peuvent apprendre leur métier sur le tas.



Green Manor développe un humour anglais qui fait mouche dès les premières pages. Quelle a été la genèse de cette série ?



A l'origine, je ne comptais évoquer le club du Green Manor que dans une seule histoire courte, Délicieux frissons. Et puis j'ai eu la chance de voir cette histoire illustrée par Denis Bodart : le résultat était épatant, et la rédaction de Spirou m'a demandé si je ne pouvais pas envisager d'écrire d'autres histoires dans ce club so british… Comme j'avais encore quelques idées de “ meurtres impossibles ” en tête, et que Denis était partant, je me suis lancé dans l'écriture de cinq autres nouvelles criminelles : assassins qui n'existent pas, enquêteur se transformant en serial killer par conscience professionnelle, meurtre artistique, tout y est passé… Ou presque puisque je travaille actuellement au deuxième album !



Autre rencontre, autre univers : avec Gwen vous avez créé Samedi & Dimanche. Humour, toujours, mais cette fois sur une île et avec deux… lézards dans les rôles principaux. Amusante idée !



L'idée de départ est de Gwen : c'est lui qui m'a proposé d'animer ces deux personnages, et de leur faire vivre des péripéties poétiques sur un îlot perdu. Mais il m'a ensuite laissé carte blanche pour m'approprier cet univers, ce que j'ai fait avec un grand plaisir : j'adore pouvoir imaginer des histoires complètement délirantes sur des piafs qui se mangent des sens interdits, un monstre invisible qui se demande pourquoi tout le monde l'ignore ostensiblement dans les soirées, ou un tyrannosaure qui monte des entreprises d'épluchage de palmier… Tout est possible sur cet îlot, et c'est ça qui me plait !



Un célèbre journal s'est longtemps “ amusé à réfléchir ”. Pour vous, “ Poisson Pilote ” est-elle la collection qui permet justement d'innover, de surprendre ?



C'est à n'en pas douter la seule collection où nous pouvions développer le concept de Samedi & Dimanche. En effet, nous avons cherché à créer un ton très singulier, à mi-chemin entre l'univers des enfants et celui des adultes. C'était un pari risqué, mais les responsables de “ Poisson-pilote ” ont cru en nous. Qu'ils en soient ici (brosse-brosse) publiquement (brosse-brosse) remerciés (brosse-brosse-brosse).



Si je vous dis que vous avez le caractère de Samedi et le physique de Dimanche ? – bon d'accord, vous ne ressemblez pas vraiment à un lézard, mais bon…



Si vous me dites ça en public, Môssieur, je vous giflerai sans attendre ! M'enfin bon, je dois reconnaître que je suis grand comme Dimanche, et que je me pose 1 000 questions à la minute, comme Samedi… Mais j'ai aussi certains des traits de caractère de Dimanche, qui est parfois un peu trop nonchalant et peureux. En fait, je crois que Gwen et moi avons mis un peu de nous deux dans chacun de ces personnages, et que c'est pour ça que nous y sommes si attachés !… “ Samedi et Dimanche, c'est moi ”, aurait sans doute dit Emma Bovary si elle était encore de ce monde, la bougresse. Si vous étiez un animal, vous seriez… une grosse mite. Pour pouvoir enfin manger des pulls sans que tout le monde me regarde avec stupeur !!



Des lendemains sans nuage sera un one-shot édité dans la collection “ Signé ” du Lombard. Quel sera son propos ?


C'est une vision grinçante de l'avenir que la science pourrait bien nous réserver : un futur qu'on voudrait parfait mais qui se révèle bourré de petites contradictions bien humaines. Je me suis donc amusé à imaginer un “ monde meilleur ” où les égoutiers peuvent être emportés par un raz de marée d'excréments, et où les Jeux olympiques sont sponsorisés par des marques de dopants ! Alors bien sûr, j'en rajoute un peu… Mais malheureusement, plus la caricature est grosse, plus ça a de chance d'arriver dans la réalité !




Gazzotti vient de l'humour, Meyer du réalisme. Cet album semble se situer à parfait mi-chemin des deux genres. Comment avez-vous réussi à accorder vos violons ?



Ca s'est passé très naturellement : Ralph et Bruno se connaissent très bien, et je crois que leur complicité graphique a été immédiate. Et la synthèse à laquelle ils sont parvenus, à mi-chemin entre l'humour et la noirceur, sert parfaitement mon scénario.



Parmi vos projets il y a une nouvelle série ambitieuse, Le Marquis d'Anaon, qui verra le jour en 2002. Et cette fois vous surprendrez sans doute vos lecteurs avec un ton à la Sleepy Hollow très angoissant…



Le Marquis d'Anaon est en effet une série flirtant avec le surnaturel, et se déroulant au début du XVIIIe siècle. Il y sera question d'un étudiant en médecine qui débarque sur une île bretonne pour devenir le précepteur du jeune fils d'un noble. Mais l'enfant est assassiné, et des apparitions morbides font peu à peu basculer le héros dans un monde très éloigné du “ Siècle des lumières ”, un univers plus proche des secrets sanglants de Barbe Bleue que des encyclopédies de Diderot… Ce projet est dessiné par Matthieu Bonhomme, un jeune gars bourré de talent et dont les planches vous couperont le souffle ! Ensemble, nous cherchons à recréer une atmosphère de mystère, comme on la trouve dans des livres tels que L'Ile aux trente cercueils ou Le Chien des Baskerville. D'autres projets ? Je bosse actuellement sur deux autres projets de série : l'une avec Ralph Meyer (où il sera question d'une intelligence artificielle “ ratée ” poursuivie par la moitié de la population terrienne) et l'autre avec Bruno Gazzoti, où l'on s'intéressera à un groupe d'enfants plongé dans une situation impossible… Mais je n'en dis pas plus, pour préserver la surprise !



Si vous n'étiez pas devenu scénariste, quel métier exerceriez-vous vraisemblablement aujourd'hui ?



Sans doute fabricant de jouets, j'aime bien les enfants – ou alors j'aurais dealé de la coke, parce que j'aime bien l'argent aussi ! (rires).



Eric Gauvain

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