FUTUROPOLIS
Futuropolis est une bande dessinée signée René Pellos. Ce fut bien sûr aussi une librairie et une maison d’édition éponymes créées par Étienne Robial, Denis Ozanne et Florence Cestac.
Une aventure de vingt ans qui a profondément marqué une histoire de la bande dessinée. Rencontre avec la femme orchestre de cette épopée, qui prend un véritable plaisir à faire ce retour en arrière, sans nostalgie particulière mais avec le talent, le naturel, la malice et le sens de l’observation qu’on lui connaît.
Pourquoi un tel livre ?
C’est la grande question ! Je suis consciente que ça ne va pas intéresser un large public, mais l’envie vient tout simplement d’un besoin fort de raconter cette belle aventure. C’est presque une histoire de famille, c’est aussi vingt ans de ma vie, ce n’est pas rien. Si ce livre touche cinq ou six personnes, c’est déjà ça ! (Rires.)
Ce n’est pas uniquement l’histoire de Futuropolis, c’est vraiment l’histoire de tous ceux qui y ont participé, c’est aussi un témoignage fort sur le monde de la bande dessinée.
J’ai toujours considéré que l’on racontait bien ce que l’on connaissait bien. L’aventure Futuropolis a démarré dans les années 1970, c’est aussi un témoignage sur cette époque, sur l’état d’esprit : on ne savait pas où on allait mais qu’importe, on s’est lancés sans trop réfléchir. C’était un mélange grisant de liberté et d’insouciance. Nous étions trois, avec Étienne (Robial) et Denis (Ozanne), lequel avait fait de vagues études d’électricité à Supélec, Étienne sortait des Beaux-Arts tout comme moi – en plus des Arts déco. Autant dire qu’au début, on a fait un peu n’importe quoi mais l’envie était là et c’était bien l’essentiel.
C’était aussi l’état d’esprit de l’époque quand on pense aux créations de L’Écho des savanes par Gotlib, Mandryka et Bretécher mais aussi Métal Hurlant ou Fluide Glacial.
J’aurais pu raconter l’histoire de ces magazines dans le même esprit, c’est certain : à ce moment-là, la bande dessinée explosait et on pouvait innover, comme le fait d’appeler des livres par le nom des auteurs concernés, ce que nous avons fait avec la collection “30 x 40”. Éditer des livres en noir et blanc était plutôt culotté, on a été des pionniers mais, encore une fois, c’était vraiment parce que l’époque était propice à ces innovations.
Les fameux formats 30 x 40 constituent un moment fort du lancement des éditions Futuropolis !
C’était la volonté d’adapter le format au travail de l’auteur et non l’inverse. J’avoue que le format a été un casse-tête pour pas mal de libraires et de lecteurs, qui ne savaient pas comment ranger ces livres immenses ! On a eu pas mal de retours, personne n’a fait fortune, ni nous ni les auteurs.
Comment passe-t-on de la librairie à l’édition ?
Ce n’était pas prémédité, ça s’est fait naturellement. Je suis consciente que si nous faisions ça aujourd’hui, ça ne marcherait plus, le marché n’a tout simplement plus rien à voir, mais je retrouve un peu de cet état d’esprit dans ce que font par exemple aujourd’hui L’Association, Cornélius ou Les Requins Marteaux.
De la nostalgie ?
Non, je n’ai ni regrets ni nostalgie. C’était une belle aventure, avec beaucoup de rencontres, ce qui reste le plus important à mes yeux. Il n’y avait pas de côté clanique, tout le monde se mélangeait facilement ce qui donnait une émulation générale. C’est en tout cas comme ça que je l’ai ressenti, s’il devait y avoir une pointe de nostalgie, ce serait juste à ce niveau.
Tu cites des personnages tels que Charlie Schlingo, qui était vraiment un personnage hors norme…
Je l’adorais, c’était l’artiste dans toute sa splendeur, un poète, il m’a fait rire aux larmes plus d’une fois ! Sa vivacité et son tempérament joyeux coexistaient pourtant avec un côté parfois suicidaire : il buvait comme un trou et n’avait pas de limites. Je me souviens d’un Angoulême avec Charlie que je présentais comme mon conseiller juridique et fiscal, y compris au maire d’Angoulême, qui ne savait pas trop sur quel pied danser ! (Rires.) Des anecdotes comme ça, il y en a des tonnes, on pourrait lui consacrer un livre entier.
Quand on regarde la liste des auteurs qui sont passés chez Futuropolis, on reste rêveur : Giraud, Tardi, Forest, Fred, F’murrr, Wrightson, Cabanes, J.-C. Denis, Swarte, etc. Y compris Druillet, même s’il n’a jamais signé d’album chez vous. Pas mal !
Souvent, ces auteurs à succès étaient édités ailleurs et ils venaient faire chez nous ce qu’ils ne pouvaient faire ailleurs. L’auteur venait avec une idée et on discutait ensemble autour de cette envie. À propos de Tardi, il faut admettre que son album La Véritable Histoire du soldat inconnu a été un virage déterminant dans notre parcours. Beau, cher, invendable, mais on aimait ce livre !
Parfois ça se passait mal, comme avec le photographe Dytivon, ce que tu racontes.
Ah ça, je m’en souviens ! Claude Dytivon, photographe célèbre, avait fait le portrait de 59 auteurs de bande dessinée et au moment de l’impression on avait choisi la couleur sépia, trahissant ainsi son œuvre. Des histoires comme celle-là, il y en a bien d’autres… Mais il faut se rendre compte que nous faisions tout nous-mêmes, la maquette, la photogravure, etc. Il y avait un aspect artisanal alors forcément, parfois, ça dérapait.
Tu revendiques ce côté artisanal.
Oui, il suffit de se rappeler, notamment, le travail d’Étienne en tant que maquettiste et concepteur, chose qu’il affectionne toujours d’ailleurs. Et c’est lui qui signe la maquette de la couverture de ce livre !
Beaucoup d’auteurs venaient, donc, avec parfois des anecdotes savoureuses que vous racontez dans l’ouvrage Comment faire de la “bédé” sans passer pour un pied-nickelé avec Jean-Marc Thevenet, qui était alors directeur de la collection “X”.
Il y avait un côté tout simplement sympa et – j’insiste – naturel. On pouvait faire des choses uniquement parce que l’on avait envie de les faire, comme la collection “X”, qui présentait des albums en noir et blanc, à l’italienne et avec des auteurs souvent inconnus. Pas vraiment commerciale comme approche ! Mais quand on voyait un jeune auteur et que son travail nous plaisait, eh bien, on se décidait sans trop réfléchir, et voilà ! Tout était possible. Il faut avoir beaucoup de patience pour faire le métier d’éditeur, tout ne marche pas tout de suite, mais si on croit en quelqu’un, il faut savoir oser.
Pourtant, les difficultés sont arrivées et, on le voit bien, ça coïncide avec le moment où Futuropolis décide de passer la vitesse supérieure.
Futuro était devenu une entreprise avec des salariés, etc. Quatorze personnes en tout à “gérer” et à un moment, on passait plus de temps à s’occuper des problèmes d’organisation et d’intendance. On a par exemple décidé de confier la diffusion à un diffuseur extérieur en se disant que ce serait plus simple. Fatale erreur car on ne maîtrisait plus tout à fait l’ensemble et c’était un peu compliqué d’expliquer à un gros diffuseur qu’on allait éditer un carnet de croquis de Schlingo ou de Baudoin à 500 exemplaires… On aurait dû rester “petit”, on y a sans doute perdu un peu de notre liberté.
Problèmes humains aussi, avec des licenciements !
Oui, nous n’étions pas du tout préparés à ça, on découvrait au fur et à mesure ces aspects douloureux. Il faut imaginer qu’au départ, tous les salariés étaient payés au même salaire, on avait une conception sans doute un peu naïve de la vie d’une entreprise ! (Rires.)
Pas de 35 heures ? !
On ne savait pas vraiment ce que c’était, on bossait comme des malades, on ne prenait pas de vacances ou alors quand on en prenait, c’était pour faire un voyage aux États-Unis et voir si on ne pouvait pas récupérer des droits pour la collection “Copyright” par exemple. Tout tournait autour de la maison d’édition, en permanence.
Tu cites la collection “Copyright”, qui a permis de redécouvrir de grands noms de la bande dessinée comme Herimann. Et c’est une particularité de Futuropolis d’avoir édité de jeunes auteurs mais aussi de grands anciens comme Calvo.
On parlait de “Copyright” comme la “Pléiade de la bande dessinée”. Cela permettait de rendre hommage à ces auteurs, de pouvoir les relire. C’est important de rendre disponibles les œuvres de ces auteurs dits “classiques”. Je crois que pour faire de la bande dessinée, il faut tout simplement beaucoup en lire. En tout cas, la collection “Copyright” m’a permis d’accomplir un vieux rêve : éditer Popeye, de Segar ! C’est indémodable, ça fonctionne toujours aussi bien.
Si tu devais garder une seule anecdote ?
(Hésitante) … Impossible, il y a trop de choses qui me viennent en tête. D’ailleurs, j’ai dû enlever des tas d’anecdotes qui auraient pu figurer dans ce livre tellement il y en avait, et aussi parce cela pouvait froisser les personnes concernées. L’aspect humain, ces fameuses rencontres, ç’a été la chose la plus enrichissante.
Libraire, éditrice mais aussi auteure, y compris pendant la période Futuropolis, avec par exemple ce personnage de Harry Mickson, la mascotte, puis avec ton parcours que l’on connaît bien. Il y a une logique dans tout ça…
Bien sûr, d’ailleurs ça me fait penser à une anecdote, quand même… Nous venions d’éditer notre premier album, le Calvo en “30 x 40” et nous l’amenions à nos parents, Étienne et moi. Commentaire : mais si vous ne dessinez pas et si vous ne l’imprimez pas, c’est quoi alors votre boulot? Il a fallut leur expliquer le métier d’éditeur. Pas simple!…
Le rachat de Futuropolis par Gallimard sonne vite le glas de Futuro. As-tu le sentiment de ne pas être allée au bout de l’aventure ?
Oui et non. On aurait pu continuer mais aujourd’hui, j’apprécie mon travail d’auteure à temps plein, je pense un peu à moi : quand on est éditeur, on s’occupe énormément des autres et ça prend beaucoup d’énergie. Et puis être auteure, c’est aussi avoir une vraie liberté. Pourvu que ça dure !
François Le Bescond