Domo arigato, Catherine !
Un nouvel album comme un prolongement des Grands Espaces, sur une terre inconnue et instable où la Nature éphémère interroge l’artiste fascinée !
Table des matières
Back to topJ'aimerais peindre la nature
Pour la dessinatrice Catherine Meurisse, qui a décidé de s’éloigner d’espaces et de motifs qu’elle connaît trop bien, ce désir affiché a des allures de serment. Mais dès ses premiers pas au Japon, elle est confrontée aux mystères d’une langue, d’une culture et d’un art qu’il est difficile d’appréhender.
Arpenter les alentours de la résidence d’artistes qui l’accueille ressemble à une traversée du miroir. De l’autre côté, tout est à la fois étrange et familier.
Au gré de rencontres réelles ou fantasmées, la dessinatrice entrevoit l’ineffable intimité entre un pays et une nature muse et furie, qui tour à tour protège et détruit. L’autrice s’est rendue plusieurs fois au Japon, en résidence à la Villa Kujoyama à Kyoto, puis sur l’île d’Iki, en 2018 et 2019. Elle y a puisé les images d’un monde flottant mais aussi les détails d’un tableau dévasté par les catastrophes naturelles et climatiques, d’une réalité où se côtoient les temples ancestraux et la modernité des murs anti-tsunami.
Dans le sillage de la poésie de Sosêki, dont le roman Oreiller d’herbes constitue une de ses sources d’inspiration, le cheminement de la dessinatrice est essentiellement esthétique. Si son humour est toujours aussi saillant, sa plume s’affine et emprunte aux grands maîtres de l’estampe. Le Japon qu’elle dessine est celui d’hier et d’aujourd’hui, celui d’Hokusai et de Miyazaki, fait de terre qui gronde et d’eaux réfléchissant les êtres avant de les emporter – finalement, celui d’un paysage ô combien vivant.
Conte philosophique, La jeune femme et la mer raconte un territoire qui n’est rien de moins qu’un échantillon de la terre que nous habitons tous, et nous rappelle que notre vie dépend de notre capacité à entrer en résonance avec la nature.
Back to top#Interview : 4 questions à Catherine Meurisse
Catherine Meurisse nous éclaire sur son travail et son ouvrage en répondant à quelques questions.
Que dit le titre de ce nouvel album, La jeune femme et la mer ?
Catherine Meurisse : Ce titre annonce qu’un personnage de femme, Nami, domine le récit, de même que son corps enlace d’emblée le paysage, dès la couverture de l’album. Dans La jeune femme et la mer, femme, nature, mer et paysage ne sont pas si distincts, et ce discret effacement des contours est volontaire.
Le personnage qui me ressemble, déjà présent dans La Légèreté et Les Grands Espaces, posant mille questions sur un Japon qu’elle découvre, est l’héroïne de ce récit initiatique. Mais c’est Nami, mystérieusement liée aux éléments naturels, patronne d’une auberge thermale, dont le prénom signifie en japonais « la vague », et dont l’histoire maritime et sismique sera révélée au fil des pages, qui intrigue et attire les regards.
Comment expliquer ce sentiment de « familière étrangeté » qui envahit la dessinatrice face au paysage du Japon ?
Catherine Meurisse : Quand vous voyagez au Japon, pays incroyablement éloigné du nôtre, une impression étrange vous saisit : « Au Japon, je me retrouve chez moi et à la fois très loin. Chez moi en miroir. On est chez soi mais tout est inversé. » (Levi-Strauss). En plus de cet effet miroir, il y a au Japon, plus qu’en Europe, une solidarité avec son passé le plus lointain, dans ses manifestations les plus modernes.
Quand vous êtes voyageur, constater ce lien vous rappelle quelque chose de votre histoire, de votre pays, de vous-même. Dans La jeune femme et la mer, j’évoque cette solidarité avec les racines, mais la solidarité qu’il m’importe plus encore de traiter est celle avec la nature, avec la terre et le paysage que nous habitons.
La dessinatrice souhaite « peindre la nature », le peintre souhaite « peindre l’expression d’une femme ». En quoi leurs quêtes, si compliquées à atteindre pour l’un et l’autre, sont-elles proches ?
La femme et la nature sont des sujets de peinture. Vierge, déesse, allégorie, muse, mère, la représentation du corps féminin dans la peinture traverse les siècles. Décor puis sujet à part entière, la nature quant à elle intrigue les impressionnistes français comme les artistes japonais de shin hanga, qui peignent une terre idéalisée. Mais le point commun le plus flagrant est celui-ci : femme et nature, par leurs capacités créatrices, sont des origines du monde. C’est autour de cela que gravitent, plus ou moins consciemment, mes personnages.
La dessinatrice française désire peindre la nature, mais cette idée est si flottante qu’elle passe plus de temps à ressentir pleinement des sensations qu’à dessiner. Quant au peintre japonais, lorsque l’inspiration semble le gagner, aucune peinture n’arrive ; seuls les haïkus s’imposent et remplissent son carnet. C’est finalement une expression fugace de Nami, c’est la fugacité elle-même, l’éphémère, qu’il saisira. Nami est le personnage vers qui convergent les quêtes des deux artistes. Est-elle une femme ou la nature ? Au lecteur de l’imaginer.
Derrière les réflexions d’ordre artistique, l’album peint
le dialogue houleux qui existe entre les hommes et les éléments. Remous qui ne cessent de s’accentuer avec les effets
du dérèglement climatique…
Catherine Meurisse : J’ai écrit le scénario de La jeune femme et la mer en mars 2020, lorsque nous avons tous été concernés et dépassés par la pandémie de Covid 19. Une affirmation du monde scientifique m’avait frappée alors : l’expansion et l’intensification de l’exploitation de la nature par l’homme rapprochent ce dernier du monde sauvage, et le perturbent, et de ce rapprochement malheureux naissent les pandémies. Ce constat m’a tant obsédée qu’il a influé sur mon récit. Il devenait évident que ce sujet allait rejoindre celui d’un Japon en permanence ébranlé par les cataclysmes naturels, que le réchauffement climatique intensifie.
La quête d’inspiration du peintre japonais et de la dessinatrice française et leurs échanges sur l’art se sont donc doublés d’une réflexion sur la nature muse, nourricière, malmenée, destructrice, puissante, indifférente, etc. « Notre humanité n’est pas séparée du monde, chacun est, tour à tour, influent et responsable », dit Nami. Quant au tanuki qui surgit au fil du récit, il est à la fois issu du monde sauvage et de la mythologie : on l’aperçoit, on lui parle et on l’écoute, mais il reste toujours distant de l’homme. De cette distance dépend la survie de l’un comme de l’autre.
Retrouvez dès à présent La jeune femme et la mer de Catherine Meurisse chez votre libraire :
Bonne lecture.
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