Simenon adapté en bande dessinée
2023, une année Simenon pour célébrer les 120 ans de la naissance du maître du roman policier ! Interview croisée de John Simenon, José-Louis Bocquet et Jean-Luc Fromental.
Table des matières
Pour célébrer et faire (re)découvrir l'écriture de Georges Simenon, le maître du polar né il y a 120 ans, son fils John Simenon et les scénaristes de renom et "simenonien" José-Louis Bocquet et Jean-Luc Fromental, adaptent des romans durs de ce monument de la littérature du XXème siècle.
Back to topGeorges Simenon : les romans "durs"
Auteur prolifique, Georges Simenon a touché à tous les genres de récits en prose : contes, nouvelles, récits de voyage, reportages, autobiographie… et bien sûr romans.
C’est d’abord sous différents pseudonymes qu’il écrit, au cours des années 1920, près de deux cents romans populaires. Puis, parmi les livres publiés sous son nom propre à partir de 1929, on distingue la série des Maigret – 75 romans et 28 nouvelles – des « romans durs », qui ne mettent pas en scène le célèbre commissaire et ne relèvent pas, dans leur grande majorité, du genre policier.
« S’il les a appelés "durs", c’est qu’ils étaient durs à écrire », confie John Simenon, le fils du romancier. Alors que l’écriture d’un Maigret s’apparentait presque à des vacances, celle des romans durs constituait une véritable épreuve physique, qui laissait Simenon vidé et épuisé. Ce terme de « dur » convient aussi parfaitement au style de l’écrivain, précis et tranchant, ainsi qu’aux atmosphères des romans et à la vérité qu’y peint Simenon : celle d’une humanité nue et dépouillée, que des circonstances poussent à aller au-delà d’elle-même.
Back to topLa bande dessinée, un médium légitime pour l'adaptation des romans "durs"
John Simenon
Interview croisée : Naissance d'un projet
Dans un entretien croisé, John Simenon, le fils de Georges Simenon et les auteurs Jean-Luc Fromental et José-Louis Bocquet expliquent l'origine de cette année anniversaire en bande dessinée et nous dévoilent les projets qui paraîtront en 2023.
Simenon en bande dessinée, on attendait cela depuis longtemps… Comment a commencé ce grand projet éditorial ?
John Simenon : Cela faisait dix ans que je réfléchissais au moyen d’adapter en bande dessinée des romans de mon père, mais je ne trouvais pas de bon projet. Et un beau jour, je découvre De l’autre côté de la frontière (Dargaud, 2020). J’ai appelé Jean-Luc, que je ne connaissais pas, et on a discuté une heure et demie.
Jean-Luc Fromental : Dans le monde du cinéma, pour lequel j’ai beaucoup travaillé, John avait la réputation d’être extrêmement rigoureux et exigeant. C’est une vraie qualité chez les ayants-droit, mais ça me rendait tout de même un peu inquiet… Et ça a été une très belle rencontre !
John Simenon : Et José-Louis était comme un trait d’union entre nous. Jean-Luc et lui se connaissent depuis l’époque de Métal hurlant, il y a quarante ans ! Quant à moi, je le connais depuis… Depuis quand, déjà ?
José-Louis Bocquet : 1990 ! Notre première rencontre a eu lieu au café de Flore au moment de la sortie du livre de conversations de Simenon avec Francis Lacassin, que j’avais édité. Comme tous les beaux projets, celui-ci est d’abord une histoire de rencontres.
Comment s’y prend-on pour adapter Simenon ?
Jean-Luc Fromental : Presque tous les cinéastes qui l’ont fait disent que c’est impossible… Alors qu’ils ont tiré des films par-fois géniaux. C’est sans doute difficile, mais on peut ! Il faut commencer par le lire, le relire, pour entrer dans sa langue…
Jean-Luc Bocquet : Je dirais même plus, il faut entrer dans chaque phrase ! Je n’ai jamais aussi bien pris connaissance de la langue, du verbe de cet auteur que quand je me suis mis à l’adapter. Et c’est une expérience immersive unique en son genre !
Comment avez-vous choisi les titres que vous avez adaptés ?
Jean-Louis Bocquet : L’idée au départ était de travailler sur les romans « durs » , pour ne pas créer une série, et pouvoir embarquer chaque fois dans l’aventure un auteur - dessinateur différent. Pour restreindre encore le champ, on a voulu choisir parmi ceux que l’on pourrait appeler « les romans de l’ailleurs », dont l’action se situe loin de la France et de la Belgique.
Jean-Luc Fromental : Il y a une telle richesse dans ces romans exotiques ! Avec une grande diversité d’atmosphères, de lieux, d’époques… Dire que certains font de Simenon un « romancier immobile » ! Pour moi, il est résolument du côté des « étonnants voyageurs ».
John Simenon : C’est très émouvant d’écouter « les deux J.-L. » Ils font vraiment partie de ces très grands connaisseurs de Simenon qui ne s’en vantent pas. C’est la première fois que je leur dis, mais ils me bluffent chaque fois !
Il y aura donc deux romans adaptés en 2023…
José-Louis Bocquet : Le Passager du Polarlys, que j’ai choisi, est le premier roman dur de Simenon. Il l’a écrit à 27 ans. On sent encore le romancier populaire, mais alors qu’auparavant il se documentait dans ses encyclopédies, il situe cette fois son intrigue sur un bateau sur lequel il a vraiment navigué pour un de ses reportages. C’est donc un roman immersif.
La grande excitation pour moi a été de travailler avec Christian Cailleaux, qui devrait être peintre officiel de marine. J’ai vraiment écrit pour lui !
Jean-Luc Fromental : De mon côté, j’avais une première idée, mais quand je l’ai proposée à Yslaire, qui est un lecteur de Simenon, il m’a répondu : « Je veux quelque chose de beaucoup plus dense et conséquent ! » Alors j’y suis allé franchement et je lui ai suggéré d’adapter La neige était sale, qui est le grand roman existentialiste de Simenon.
John Simenon : Pour moi, c’est presque son roman le plus important. D’abord par son sujet, avec ce personnage qui recherche une forme de grâce absolue, mais aussi parce qu’à titre personnel, il m’a permis de redécouvrir l’écrivain qu’était mon père. J’avais cessé de lire ses romans à l’adolescence. Et à 35 ans, j’ai lu ce livre, qui a été comme un coup de poing dans la figure. Il y a une phrase essentielle dans cet ouvrage : « Le métier d’homme est difficile. » J’ai entendu cette phrase toute ma jeunesse. C’était une sorte de mantra, l’éthique que mon père a voulu nous transmettre à ma sœur, mes frères et moi.
Vous préparez aussi ensemble, avec Jacques de Loustal, un album plus biographique de Simenon…
John Simenon : Un mot d’abord sur le titre que nous avons choisi : Simenon l’Ostrogoth. L’Ostrogoth était le nom du bateau de mon père, amarré dans le port de Fécamp. Mais ce mot évoque aussi l’histoire de deux jeunes gens, mon père et sa première épouse Tigy, qui étaient en dehors de toutes les normes. Pour les Romains, les Ostrogoths étaient des barbares, même si on sait évidemment aujourd’hui qu’ils avaient d’autres normes de civilisations. Pour moi, ce titre exprime très bien ce côté rebelle, qui sait s’assimiler mais en gardant toujours aussi sa différence, une façon d’être à part.
Jean-Luc Fromental : Tigy et Georges étaient les punks de l’époque ! Ils faisaient partie d’un groupe d’artistes qui s’appelaient la Caque, une sorte de préemption belge des surréalistes. On a choisi une période complexe, pas toujours facile, mais heureuse ! Ils sont jeunes, beaux… Ils dansent sur le monde, ils sont là où il faut être.
José-Louis Bocquet : En ce qui concerne Georges, c’est le moment où il va abandonner la ribambelle de pseudonymes sous lesquels il a signé des dizaines de romans populaires, pour devenir Georges Simenon. Pour paraphraser Pierre Assouline, on pourrait dire que c’est « en attendant Maigret ».
Jacques de Loustal : Mes vieux amis José-Louis Bocquet et Jean-Luc Fromental ont eu envie de raconter ce moment charnière où le jeune Georges est « devenu » Simenon, et ils ont pensé à moi pour le faire dans une bande dessinée classique, avec des strips, des bulles… ce que je n’avais jamais fait ! Autant de bonnes rai-sons de me lancer sans hésiter. J’ai d’abord dû trouver « mon Simenon » : j’ai gardé son nez, d’après quelques photos, et pour le reste, j’ai évité la caricature. Je ne sais pas si mon personnage ressemble à son modèle… En tout cas, il est très sympathique. Les années 1920 et 1930 m’ont toujours beau-coup plu esthétiquement et comme notre histoire se passe dans un milieu artistique, avec des vues d’atelier, c’est un vrai plaisir de dessiner tout ça.
Merci à John Simenon, José-Louis Bocquet, Jean-Luc Fromental et Jacques de Loustal.
Débutez dès à présent cette année anniversaire des 120 ans de la naissance de Georges Simenon, avec le premier cahier de Simenon L'Ostrogoth, un biotoon réalisé par John Simenon, José-Louis Bocquet, Jean-Luc Fromental et Jacques de Loustal.
Bonne lecture et bonne année anniversaire !
Back to top