Simenon adapté en bande dessinée
En 2023 pour célébrer les 120 ans de la naissance de Simenon, plusieurs romans durs du maître du roman policier ont été adaptés en bande dessinée... En 2025, paraît Les Clients d'Avrenos, de Jean-Luc Fromental et Laureline Mattiussi.
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Table des matières
Pour célébrer et faire (re)découvrir l'écriture de Georges Simenon, le maître du polar né il y a 120 ans, son fils John Simenon et les scénaristes de renom et "simenonien" José-Louis Bocquet et Jean-Luc Fromental, adaptent des romans durs de ce monument de la littérature du XXème siècle.
Back to topGeorges Simenon : les romans "durs"
Auteur prolifique, Georges Simenon a touché à tous les genres de récits en prose : contes, nouvelles, récits de voyage, reportages, autobiographie… et bien sûr romans.
C’est d’abord sous différents pseudonymes qu’il écrit, au cours des années 1920, près de deux cents romans populaires. Puis, parmi les livres publiés sous son nom propre à partir de 1929, on distingue la série des Maigret – 75 romans et 28 nouvelles – des « romans durs », qui ne mettent pas en scène le célèbre commissaire et ne relèvent pas, dans leur grande majorité, du genre policier.
« S’il les a appelés "durs", c’est qu’ils étaient durs à écrire », confie John Simenon, le fils du romancier. Alors que l’écriture d’un Maigret s’apparentait presque à des vacances, celle des romans durs constituait une véritable épreuve physique, qui laissait Simenon vidé et épuisé. Ce terme de « dur » convient aussi parfaitement au style de l’écrivain, précis et tranchant, ainsi qu’aux atmosphères des romans et à la vérité qu’y peint Simenon : celle d’une humanité nue et dépouillée, que des circonstances poussent à aller au-delà d’elle-même.
Back to topLa bande dessinée, un médium légitime pour l'adaptation des romans "durs"
John Simenon
Les Clients d'Avrenos de Jean-Luc Fromental et Laureline Mattiussi
Ankara, 1935. Au cabaret du Chat noir, Bernard de Jonsac boit un verre avec Nouchi, une entraîneuse. Sans le sou, celle-ci lui demande de l’emmener avec lui à Stamboul. Nouchi rêve d’autres horizons. Elle rêve surtout d’argent qui coulerait à flots, car « c’est trop bête d’être pauvre ».
À Stamboul, Jonsac l’introduit dans son cercle de connaissances. Nouchi fait sensation auprès de ses amis, amateurs de haschich et de poésie, accros aux palabres et à la vie de bohème.
Mais elle a « horreur des hommes », comme elle le dit elle-même. Sa relation avec Jonsac, qui lui propose de l’épouser pour lui éviter d’être expulsée, reste platonique, au grand désespoir de celui-ci. Nouchi continue cependant à faire tourner la tête de ceux qu’elle rencontre, mais un drame bouleversera bientôt cette vie d’insouciance et de plaisirs…
Après La neige était sale, Jean-Luc Fromental adapte un autre « roman dur » de Simenon. Les Clients d’Avrenos met en scène un couple improbable dans le cadre enchanteur de la Turquie de l’entre-deux-guerres, magnifiée par le trait sensible et les subtils jeux d’ombres de Laureline Mattiussi.
Nous vous invitons à découvrir les premières pages des Clients d'Avrenos.
La Neige était sale de Jean-Luc Fromental et Yslaire
Frank est le fils de Lotte, tenancière de la maison close que fréquentent les forces d'occupation de cette ville moyenne d'Europe de l'Est jamais nommée, figée dans les pénuries, le froid et la sourde horreur des années de guerre. Il a 17 ans et les filles n'ont plus de secrets pour lui, puisqu'il a les pensionnaires de sa mère à disposition. Sans savoir ce qu'il cherche, Frank se laisse glisser sur la pente du banditisme, assassine, sans raison matérielle ni patriotique, un occupant particulièrement répugnant, vole et tue une vieille femme qu'il connaît depuis l'enfance, et plonge dans un avilissement que seule éclaire l'image idéalisée de Sissy, sa chaste voisine, éperdument amoureuse de lui. La déchéance volontaire peut-elle conduire à la rédemption ? C'est la question lancinante que soulève La neige était sale, le grand roman existentialiste de Georges Simenon, adapté avec brio par Jean-Luc Fromental et Bernard Yslaire.
Lire notre article consacré à La Neige était sale.
Back to topLe Passager du Polarlys de José-Louis Bocquet et Christian Cailleaux
Février 1930. Dans un atelier d’artiste de Montparnasse, une jeune femme est retrouvée morte. Surdose de morphine. Elle s’appelait Marie Baron.
Quelques jours plus tard, le cargo mixte Polarlys quitte le port de Hambourg pour l’extrême nord de la Norvège. Voyage de routine, destiné à approvisionner les ports qui jalonnent la côte.
Quel rapport entre ces deux événements, distants de plusieurs milliers de kilomètres ? A priori, aucun.
Mais pour le capitaine Petersen, cette traversée ne sera pas comme les autres. Car il a de bonnes raisons de penser que le responsable de la mort de Marie se cache à bord de son navire.
Et quand un conseiller de police est assassiné dans sa cabine, l’ambiance se tend encore plus. Parmi les passagers du Polarlys, sur une mer battue par les vents et dans une atmosphère poisseuse où les faux-semblants règnent en maître, les coupables potentiels ne manquent pas…
Christian Cailleaux et José-Louis Bocquet s’emparent de l’un des premiers « romans durs » de Georges Simenon, cette facette littéraire où, sous le signe du roman noir, le créateur de Maigret met en scène sa propre comédie humaine.
Lire notre article consacré au Passager du Polarlys.
Interview croisée : Naissance d'un projet
Dans un entretien croisé, John Simenon, le fils de Georges Simenon et les auteurs Jean-Luc Fromental et José-Louis Bocquet expliquent l'origine de cette année anniversaire en bande dessinée et nous en disent plus sur les premiers albums.
Simenon en bande dessinée, on attendait cela depuis longtemps… Comment a commencé ce grand projet éditorial ?
John Simenon : Cela faisait dix ans que je réfléchissais au moyen d’adapter en bande dessinée des romans de mon père, mais je ne trouvais pas de bon projet. Et un beau jour, je découvre De l’autre côté de la frontière (Dargaud, 2020). J’ai appelé Jean-Luc, que je ne connaissais pas, et on a discuté une heure et demie.
Jean-Luc Fromental : Dans le monde du cinéma, pour lequel j’ai beaucoup travaillé, John avait la réputation d’être extrêmement rigoureux et exigeant. C’est une vraie qualité chez les ayants-droit, mais ça me rendait tout de même un peu inquiet… Et ça a été une très belle rencontre !
John Simenon : Et José-Louis était comme un trait d’union entre nous. Jean-Luc et lui se connaissent depuis l’époque de Métal hurlant, il y a quarante ans ! Quant à moi, je le connais depuis… Depuis quand, déjà ?
José-Louis Bocquet : 1990 ! Notre première rencontre a eu lieu au café de Flore au moment de la sortie du livre de conversations de Simenon avec Francis Lacassin, que j’avais édité. Comme tous les beaux projets, celui-ci est d’abord une histoire de rencontres.
Comment s’y prend-on pour adapter Simenon ?
Jean-Luc Fromental : Presque tous les cinéastes qui l’ont fait disent que c’est impossible… Alors qu’ils ont tiré des films par-fois géniaux. C’est sans doute difficile, mais on peut ! Il faut commencer par le lire, le relire, pour entrer dans sa langue…
José-Louis Bocquet : Je dirais même plus, il faut entrer dans chaque phrase ! Je n’ai jamais aussi bien pris connaissance de la langue, du verbe de cet auteur que quand je me suis mis à l’adapter. Et c’est une expérience immersive unique en son genre !
Comment avez-vous choisi les titres que vous avez adaptés ?
José-Louis Bocquet : L’idée au départ était de travailler sur les romans « durs » , pour ne pas créer une série, et pouvoir embarquer chaque fois dans l’aventure un auteur - dessinateur différent. Pour restreindre encore le champ, on a voulu choisir parmi ceux que l’on pourrait appeler « les romans de l’ailleurs », dont l’action se situe loin de la France et de la Belgique.
Jean-Luc Fromental : Il y a une telle richesse dans ces romans exotiques ! Avec une grande diversité d’atmosphères, de lieux, d’époques… Dire que certains font de Simenon un « romancier immobile » ! Pour moi, il est résolument du côté des « étonnants voyageurs ».
John Simenon : C’est très émouvant d’écouter « les deux J.-L. » Ils font vraiment partie de ces très grands connaisseurs de Simenon qui ne s’en vantent pas. C’est la première fois que je leur dis, mais ils me bluffent chaque fois !
Parlez-nous des deux premiers albums…
José-Louis Bocquet : Le Passager du Polarlys, que j’ai choisi, est le premier roman dur de Simenon. Il l’a écrit à 27 ans. On sent encore le romancier populaire, mais alors qu’auparavant il se documentait dans ses encyclopédies, il situe cette fois son intrigue sur un bateau sur lequel il a vraiment navigué pour un de ses reportages. C’est donc un roman immersif.
La grande excitation pour moi a été de travailler avec Christian Cailleaux, qui devrait être peintre officiel de marine. J’ai vraiment écrit pour lui !
Jean-Luc Fromental : De mon côté, j’avais une première idée, mais quand je l’ai proposée à Yslaire, qui est un lecteur de Simenon, il m’a répondu : « Je veux quelque chose de beaucoup plus dense et conséquent ! » Alors j’y suis allé franchement et je lui ai suggéré d’adapter La neige était sale, qui est le grand roman existentialiste de Simenon.
John Simenon : Pour moi, c’est presque son roman le plus important. D’abord par son sujet, avec ce personnage qui recherche une forme de grâce absolue, mais aussi parce qu’à titre personnel, il m’a permis de redécouvrir l’écrivain qu’était mon père. J’avais cessé de lire ses romans à l’adolescence. Et à 35 ans, j’ai lu ce livre, qui a été comme un coup de poing dans la figure. Il y a une phrase essentielle dans cet ouvrage : « Le métier d’homme est difficile. » J’ai entendu cette phrase toute ma jeunesse. C’était une sorte de mantra, l’éthique que mon père a voulu nous transmettre à ma sœur, mes frères et moi.
Vous avez préparé aussi ensemble, avec Jacques de Loustal, un album plus biographique de Simenon…
John Simenon : Un mot d’abord sur le titre que nous avons choisi : Simenon l’Ostrogoth. L’Ostrogoth était le nom du bateau de mon père, amarré dans le port de Fécamp. Mais ce mot évoque aussi l’histoire de deux jeunes gens, mon père et sa première épouse Tigy, qui étaient en dehors de toutes les normes. Pour les Romains, les Ostrogoths étaient des barbares, même si on sait évidemment aujourd’hui qu’ils avaient d’autres normes de civilisations. Pour moi, ce titre exprime très bien ce côté rebelle, qui sait s’assimiler mais en gardant toujours aussi sa différence, une façon d’être à part.
Jean-Luc Fromental : Tigy et Georges étaient les punks de l’époque ! Ils faisaient partie d’un groupe d’artistes qui s’appelaient la Caque, une sorte de préemption belge des surréalistes. On a choisi une période complexe, pas toujours facile, mais heureuse ! Ils sont jeunes, beaux… Ils dansent sur le monde, ils sont là où il faut être.
José-Louis Bocquet : En ce qui concerne Georges, c’est le moment où il va abandonner la ribambelle de pseudonymes sous lesquels il a signé des dizaines de romans populaires, pour devenir Georges Simenon. Pour paraphraser Pierre Assouline, on pourrait dire que c’est « en attendant Maigret ».
Jacques de Loustal : Mes vieux amis José-Louis Bocquet et Jean-Luc Fromental ont eu envie de raconter ce moment charnière où le jeune Georges est « devenu » Simenon, et ils ont pensé à moi pour le faire dans une bande dessinée classique, avec des strips, des bulles… ce que je n’avais jamais fait ! Autant de bonnes rai-sons de me lancer sans hésiter. J’ai d’abord dû trouver « mon Simenon » : j’ai gardé son nez, d’après quelques photos, et pour le reste, j’ai évité la caricature. Je ne sais pas si mon personnage ressemble à son modèle… En tout cas, il est très sympathique. Les années 1920 et 1930 m’ont toujours beaucoup plu esthétiquement et comme notre histoire se passe dans un milieu artistique, avec des vues d’atelier, c’est un vrai plaisir de dessiner tout ça.
Merci à John Simenon, José-Louis Bocquet, Jean-Luc Fromental et Jacques de Loustal.
Nous vous donnons rendez-vous à la rentrée pour un nouveau roman dur adapté, La Maison du Canal.
Bonne lecture !
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