Pucelle : une autobiographie coup de poing !
Un récit autobiographique grave, drôle et universel sur la (non) éducation sexuelle d'une jeune fille. Interview de l'autrice Florence Dupré la Tour.
Avec ce deuxième volume de Pucelle, Florence Dupré la Tour quitte l’enfance pour l’adolescence. Avec sa patte tragi-comique, elle raconte les changements physiques et ses rapports ambivalents à sa sexualité naissante.
À mesure que son corps change, c’est son regard sur son éducation, sur son rapport aux autres qui évolue, et surtout son rapport aux hommes qui l’attirent tout en la plongeant dans un abîme d’angoisse.
Que faire de toutes ces pulsions interdites ? Et à mesure que Florence grandit, ce sont les adultes autour d’elle qui semblent rapetisser.
En faisant exploser les dogmes et les tabous, en n'épargnant personne et surtout pas elle-même, Florence Dupré la Tour signe avec Pucelle le meilleur album féministe de ces dernières années. Puissant, hilarant, et génialement dessiné.
Catherine Meurisse
L'équipe Dargaud : Comme Cruelle, votre précédent album, Pucelle est une œuvre autobiographique, très intime. Comment décide-t-on de se raconter, de se « mettre à nu » ? Que passe-t-on sous silence, qu’extrapole-t-on ?
Florence Dupré la Tour : "Je dirais que "se mettre à nu" est une étape que je n'ai pas encore réellement franchie avec Cruelle ou Pucelle. Je ne m'applique pourtant aucune forme de tabou. Mais j'utilise une écriture, un dessin que l'on pourrait qualifier d'humoristique et l'humour, c'est déjà un pas de côté, comme un voile pudique jeté sur les avanies. Pour moi c'est un peu comme une forme de politesse. Et ça me fait du bien de me moquer de mes tribulations.
J'essaye de ne rien passer sous silence. Mais je suis bien obligée de couper dans la matière. Impossible de tout raconter : il me faudrait des milliers de pages. Des millions. Quant à extrapoler, je dirais que j'exagère les expressions des personnages pour finalement tenter d'être au plus près de leur vie intérieure.
L'exagération des mimiques, je trouve qu'elle n'est pas si caricaturale quand on regarde de près les émotions extrêmement intenses qui nous animent tous chaque jour."
Quel message voulez-vous faire passer à travers vos œuvres autobiographiques et vos œuvres de fiction, quels sont vos grands thèmes de prédilection ?
Je dirais qu'il n'y a aucun message. Et il y en a une infinité. Il n'y a pas de message, mais peut-être un projet, inconscient : celui de me consoler d'abord. Et de consoler des lecteurs en les faisant marrer, en leur faisant lire des situations qu'ils ont pu voir ou vivre.
Mes thèmes de prédilections (la famille, l'enfance, les rapports de hiérarchie et de pouvoir, la nature, l'amour, le manque d'amour, le désespoir, la sexualité, la survie...) ont tous un socle commun : le cerveau. Et sa représentation dessinée. Je ne sais pas vraiment pourquoi.
Tous les événements sont-ils autobiographiques ou vous êtes-vous aussi inspirée d’expériences vécues par vos amies, vos proches ? Avez-vous intégré des passages fictionnels ?
C'est drôle, on me pose souvent la question « est-ce que tout est vrai? ». Ben oui. Pourquoi mentir ou raconter l'histoire d'une autre ? En revanche, l'écriture autobiographique étant une retranscription, elle est en cela fictionnelle, par rapport au souvenir. De même que le dessin : c'est une représentation de personnages qui n'ont rien à voir avec la réalité.
Mais le souvenir déformé par les effets du temps sur la mémoire, n'est-il pas déjà une sorte de fiction ? Une histoire (la nôtre) que l'on se remémore, que l'on reconstruit au gré des oublis, lorsqu'elle devient un peu floue ou parce que ça nous arrange.
Alors, que reste-t-il de notre histoire passée dans une autobiographie ? Je dirais le souvenir des émotions. Des sensations. Du sensible. C'est ce que j'essaye de retrouver.
L’enfance est un sujet qui vous tient particulièrement à cœur. Comment percevez-vous cette période de la vie ? Et pourquoi est-ce important pour vous de la partager ?
Oui, elle me hante. J'ai l'impression que je suis en train de me débarrasser d'elle en écrivant. C'est affreux. Plus j'écris sur mon enfance et plus elle disparait, elle s'éloigne et je ne peux m'empêcher cependant d'écrire.
J'efface en écrivant. C'est une situation terrible et cocasse. J'ai tellement adoré mon moi enfant que je n'arrive pas à en faire le deuil. Peut-être est-ce la meilleure façon de le faire. De la donner à quelqu'un d'autre.
Pucelle est un diptyque, le tome 1 couvre votre enfance de vos 8 à 13 ans et le second de vos 13 à 18 ans. Prévoyez-vous de continuer vos récits autobiographiques après l’âge de 18 ans ?
Effectivement, c'est prévu. Mais pas tout de suite. Je vais encore revenir en arrière, au tout début, quand toute cette histoire a commencé mais cette fois-ci selon un dernier prisme : la gémellité. Je ne sais pas encore jusqu'où je ferai aller ce troisième volet. On ne s'arrête pas d'être jumelle à 18 ans.
Mais la vie adulte m'a offert suffisamment de déconvenues et de moments sordides pour ne pas continuer à transformer cette belle matière en pages plaisantes qui en feront (je l'espère) rire et pleurer plus d'un.
Quels artistes, œuvres, auteurs vous inspirent ? Lisez-vous des autobiographies d’autres auteurs ?
Je lis de tout. Dès que j'en ai l'occasion. Mes derniers coups de cœurs ? Sorcières de Mona Chollet, Les saisons de Maurice Pons (celui qui n'aime pas ce roman ne mérite pas d'exister), L'Arabe du futur : je me suis arrêtée au premier tome, c'était trop bien, je ne voulais pas être découragée en écrivant. Les livres d'Aurélie William Levaux qui vous transpercent, Dominique Goblet et son dernier album extraordinaire, les bouquins d'Étienne Beck (génial !!!). Paracuellos de Giménez est un sommet autobiographique, L'Adolescent de William Cliff, une merveille. Aude Picault, Catherine Meurisse et Marion Montaigne ne me déçoivent jamais. Je me prosterne devant Julie Doucet, Crumb, Killoffer, Valfret. J'ai adoré Blueberry, La famille Fenouillard, La Hulotte, Roald Dahl, Tomi Ungerer, Quentin Blake, Moumine le Troll, tout Zola, Proust, tout Stephen King, Bernanos, tout Bob Morane, Sylvain et Sylvette, Saint John Perse, Racine, Le Prince de Bel-Air, Charles Péguy, Beavis and Butt-Head...
Bon, stop ou on va y passer la nuit.
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