Florence Dupré La Tour raconte le couple gémellaire dans Jumelle

Florence Dupré La Tour termine son récit autobiographique avec un nouveau diptyque, Jumelle. Après Cruelle (sur son rapport aux animaux) et Pucelle (sur son éveil sexuel), l'autrice raconte une véritable histoire d’amour sororal avec justesse, humour, férocité et finesse.

Inséparables

L’une est en rouge, et l’autre en bleu. L’une est gauchère, l’autre droitière. L’une zozotte et l’autre sosotte… Mais en dépit de ces petites différences, apparemment, Florence et Bénédicte se ressemblent en tous points : normal ! elles sont jumelles.

Entre un père indifférent, une mère dévouée, un petit frère chouchouté et une grande sœur exclue de leurs jeux, elles grandissent à deux dans un monde où « le JE n’existe pas ». Et pourtant… Au fil d’une enfance dont elle égrène les souvenirs comme autant de jalons dans la construction de son identité, Florence va découvrir qu’une relation, aussi fusionnelle soit-elle, n’est jamais symétrique, et qu’on peut connaître en son sein des moments d’immense solitude.

Florence Dupré la Tour poursuit son projet autobiographique singulier entamé en 2016. Après avoir questionné son rapport aux animaux (Cruelle, 2016) et sa découverte de la sexualité (Pucelle, 2019, 2021), elle aborde aujourd’hui frontalement la dimension qui, dit-elle, « la définit le plus et en même temps l’empêche de se définir » : la gémellité.

Elle parvient à aborder ce sujet profondément intime avec un mélange de subtilité et de radicalité, toujours drôle mais sans rien cacher de la violence des sentiments et des situations.

Un tour de force rendu possible par une narration parfaitement maîtrisée, servie par un dessin qui mêle à une douceur presque enfantine une hyper expressivité volontiers outrancière directement issue du manga. Un style unique, immédiatement reconnaissable, qui a fait le succès des tomes précédents.

Les livres de cette « trilogie en -elle », qui peuvent tous être lus indépendamment, se répondent les uns les autres. L’angle de la gémellité dessine ainsi une histoire qui n’est « ni tout à fait la même ni tout à fait une autre » et s’avère être la clé de voûte d’un projet profondément original : celui d’une relecture panoptique et sensible d’une enfance intensément vécue.

Florence Dupré La Tour : "J'étais hantée par mes souvenirs"

Florence Dupré La Tour raconte une véritable histoire d’amour sororale toujours avec la justesse, l’humour, la férocité et la finesse qui la caractérisent .

Cruelle, Pucelle, Jumelle… Pouvez-vous nous rappeler comment est né ce grand projet autobiographique ? Comment l’avez-vous pensé ?

Un mot d’abord sur ce que « autobiographique » veut dire pour moi. Je ne me souviens pas toujours précisément de l’exactitude des faits ; en revanche, je me rappelle parfaitement mes ressentis, qui sont encore très vivaces. Les spécialistes de la mémoire diront que ces ressentis peuvent changer, que tout cela est mouvant… Il n’empêche que moi, c’est sur eux que je m’appuie. Et c’est là que se situe véritablement l’autobiographie dans mon travail : dans ce moment où j’écris, où je suis fidèle à mes émotions et à mes sentiments. Ce qui parle le plus de moi, c’est le ton que j’utilise dans mes albums.

Cela étant dit, quand je me suis lancée dans ce projet, raconter mon enfance m’apparaissait comme un défi beaucoup trop vaste. J’étais hantée par mes souvenirs, trop nombreux. Je m’y perdais et pourtant je sentais que je n’avais pas le droit de me tromper. J’ai donc choisi des thématiques que j’ai laissées mûrir, et j’ai commencé par ce qu’il y avait de plus simple pour moi : mon rapport aux animaux. Puis je suis allée vers plus de difficulté avec la question de la sexualité. Maintenant, je m’attaque au sommet de la complexité : la gémellité, qui est à la fois ce qui me définit le mieux et ce qui m’empêche de me définir.

Pourquoi ? Qu’est-ce qui est si spécial dans le fait d’être jumelle ?

Les jumeaux ont toujours intrigué : dans les légendes du monde entier, dans beaucoup d’œuvres de fiction, on les présente de façon mystérieuse. Ma sœur et moi en avons d’ailleurs souvent joué, de cette fascination, et je crois que nous ne sommes pas les seules. Mais cela ne vient pas de nulle part.

Il y a dans le rapport gémellaire une intensité qui ne se trouve nulle part ailleurs, pas même dans la relation amoureuse. Et pour tant, c’est une réalité très ambivalente, car tout en étant tout le temps à deux, et d’une certaine façon jamais seule, c’est dans cette relation-là que je me suis sentie le plus seule au monde !

Il y a une évolution formelle au fil de vos albums. On est passé du gris dans Cruelle, à la bichromie dans Pucelle, et maintenant à une gamme complète de couleurs franches…

Ce choix est venu petit à petit et il est très lié à un état personnel. Au moment de Cruelle, je n’allais pas bien. Je me suis naturellement tournée vers quelque chose de sombre, de caverneux… Aujourd’hui, ça va mieux et je reviens à mes amours d’étudiante : les couleurs ! Et toujours à l’aquarelle.

Mais tout cela s’est construit dans le temps. Ce qu’il y a de formidable avec l’écriture, c’est qu’elle amène toujours de nouvelles idées, qui s’empilent et s’imbriquent. Le grand enjeu de mes albums est de trouver des moyens de raconter le quotidien, surtout quand tout est intérieur, comme dans une histoire d’amour. On se regarde, on s’aime… C’est magnifique, mais comment dessiner ça ? J’ai donc dû convoquer des monstres, des fantômes et des images fictionnelles pour enluminer cette réalité.

Nous remercions Florence Dupré La Tour d'avoir répondu à nos questions.

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En librairie

Retrouvez le magnifique travail de Florence Dupré La Tour en librairie, et nous vous offrons, dès à présent, les premières pages du tome 1 de Jumelle :

Bonne lecture !