"Ce qui m'intéresse, c'est l'avenir de Blueberry jeune."

Par l'équipe Dargaud

Nouvelle étape dans le cycle de La Jeunesse de Blueberry avec, au dessin, un nouveau "papa" : Michel Blanc-Dumont, bien connu du public pour ses séries Cartland et Colby. Quand on sait que Jean-Michel Charlier aimait à dire que, s'il n'avait pas rencontré Jean Giraud, c'est avec Michel Blanc-Dumont qu'il aurait aimé raconter la vie de Blueberry, on ne peut s'empêcher de penser que la boucle est bouclée. Qu'en pensez-vous, monsieur Blanc-Dumont ?J'ai toujours considéré Charlier comme un grand monsieur, je ne peux donc qu'en être flatté !Si Charlier vous avez fait cette proposition avant Gir, qu'auriez-vous répondu à cette époque ?J'aimais profondément le western, j'aimais beaucoup l'univers de Blueberry, mais ce n'était pas cela que je voulais raconter. Lorsque j'ai commencé, j'avais l'ambition de créer un univers qui m'était personnel. Le western que je voulais dessiner n'était pas seulement celui que je voyais au cinéma, mais celui que j'avais vu dans les livres et les photos qui témoignaient d'une époque où deux peuples différents, les Indiens et les Blancs, vivaient avec leurs cultures tellement différentes l'une de l'autre. Aujourd'hui je suis ravi de dessiner La Jeunesse avec Corteggiani qui a le grand talent de refléter l'univers inventé par Charlier et celui que je porte en moi. Ses scénarios me permettent d'apporter le souci et le goût du détail vrai et de l'authenticité dans la représentation de cette époque.Blueberry est un western mais reste tout de même aux antipodes de Cartland.A l'époque où Laurence Harlé et moi avons créé Cartland, nous avions un vrai désir de raconter une histoire proche des thèmes de films comme Jeremiah Johnson ou Little Big Man. Tandis que Gir a commencé I dans les années soixante en plein âge d'or du western. C'est cette différence de culture qui a déterminé nos influences. Aux références cinématographiques, livresques et iconographiques s'ajoutaient les préoccupations de la fin des années soixante-dix : la guerre, l'écologie, l'incompréhension raciale et le choc des cultures. Mais le western au cinéma est toujours le reflet de l'époque où il est fait. Il est rarement historique. Ce n'est pas un hasard si Little Big Man a été tourné pendant la guerre du Viêt-nam.Etes-vous intimidé par la reprise de Blueberry ?Non, dessiner Blueberry ne m'impressionne pas. Pour moi, je fais vivre une histoire à un personnage dans un univers donné. Je ressens cela pour tous les personnages que j'ai dessinés. Ils sont à la fois imaginaires et réels. A partir du moment où les personnages sont dessinés, ils n'appartiennent plus à leur auteur, ils sont ce que l'imagination de chaque lecteur en fait !Si ce n'est que Blueberry a un passé d'une trentaine d'albums…Oui, mais je n'y pense pas. Mon Blueberry est vierge de tout passé. Dans cet album, je n'ai pas tenu compte du personnage de Fort Navajo qui n'est chronologiquement pas encore né.Il est dans l'imaginaire de tout le monde.Mais pas dans le mien. Mon statut de lecteur de Blueberry est très éloigné de la démarche de créateur. J'ai dû relire les albums de La Jeunesse pour savoir ce qui s'était passé avant, afin de mieux raconter ce qui se passe après. J'ai juste regardé la physionomie de Blueberry adulte et je l'ai rajeuni afin qu'il soit dans le temps de l'histoire.Quel a été votre principal souci tout au long de cet album ?De faire vivre Blueberry dans son époque avec une documentation très précise.Vous avez une démarche inverse de celle de beaucoup d'auteurs qui tendent vers une BD plus psychologique.Chaque auteur, chaque héros, chaque histoire font que telle ou telle série est plus psychologique qu'une autre. Cartland fait partie de celles-là. Blueberry me donne le plaisir d'entrer dans l'univers de la grande aventure.Comment réagit Giraud ?C'est à lui qu'il faut poser la question. En tout cas, il connaît mon besoin d'indépendance et n'est pas du tout prêt à intervenir. Ce qui m'intéresse, c'est l'avenir de Blueberry jeune."Je veux des chevauchées, de grands espaces, le souffle de la grande aventure dans un univers historique et me servir du cadre de la réalité pour laisser courir mon imagination. Voilà ce que j'aime raconter !"Vous savez où vous allez ?Non, et c'est le plus passionnant. Alors que Charlier avait conçu La Jeunesse comme une suite d'aventures différentes, il y a de plus en plus de continuité entre les albums, de fausses fin, de rebondissement_ C'est ça qui m'intéresse. Je veux des chevauchées, de grands espaces, le souffle de la grande aventure dans un univers historique et me servir du cadre de la réalité pour laisser courir mon imagination. Voilà ce que j'aime raconter !Il y a un moment où la jonction avec Fort Navajo va se faire ?Une aventure peut se passer en deux ans comme en deux jours… Il y a aussi les flash-backs… Alors, avant d'en arriver là !Vous utilisez dans cet album des personnages créés par Colin Wilson.Oui, Homes et Grayson notamment. Le destin des personnages se construit malgré nous, c'est ça la magie de la BD.Vous avez l'air mûr pour écrire vous-même vos histoires.Je considère la BD comme le cinéma où celui qui tient la caméra n'est pas forcément celui qui écrit les dialogues. Car il n'en a pas toujours la compétence. Souvent les dessinateurs qui se mettent à scénariser aboutissent à une grande différence de qualité et de maturité entre le dessin et le scénario. L'activité de dessinateur réaliste est suffisamment difficile et passionnante pour me satisfaire. Pourtant, à Angoulême, il semblerait, si on en croit les apparences, qu'être seulement dessinateur ne soit pas suffisant pour décrocher le "titre suprême " ! En vingt ans de Grand Prix, excepté Mézières, les auteurs qui ont été récompensés pour l'ensemble de leur oeuvre ont écrit leurs scénarios _ ne serait-ce qu'une fois pour certains. Bravo Jean-Claude ! Et puis auteur de BD est un métier solitaire et j'aime entretenir une relation de complicité avec le scénariste. J'ai besoin d'avoir un écho, un autre regard sur mon travail.Aujourd'hui cet écho s'appelle Corteggiani !Nous sommes amis depuis longtemps et c'est un grand professionnel. Avec François nous faisons un vrai travail d'équipe.Vous semblez prendre du temps à enchaîner les albums. Pensez-vous pouvoir redonner à La Jeunesse un rythme régulier de parution ?Si dessiner une quinzaine d'albums en un peu plus de vingt ans, c'est prendre son temps !_ Il est vrai que, pour des problèmes annexes, la sortie des derniers albums a été plus espacée. En ce qui concerne La Jeunesse, j'ai dessiné La Solution Pinkerton en un an tout juste et le prochain est déjà largement commencé. L'histoire est écrite et se prolongera sur plusieurs livres.Qu'en est-il de Cartland ?J'ai pris la lourde décision d'arrêter cette série. Je l'ai créée, elle représente une grande partie de ma vie. De plus on ne travaille pas durant vingt ans avec un scénariste, en l'occurrence Laurence Harlé, sans tisser des liens. Mais la création passe nécessairement par des remises en question. Je tiens absolument à garder du plaisir à raconter des histoires. Je crains l'ennui et j'aime trop dessiner. Ce travail ne doit être que passion si l'on veut que les lecteurs se passionnent eux aussi.Et Colby ?Disons qu'il est provisoirement en sommeil. Je suis attaché à ce personnage. Colby a un avenir très intéressant et c'est une série dont l'univers est original. Et surtout il y a le grand plaisir de travailler sur les excellents dialogues de Greg.Il y a quelques années, Giraud vous avait proposé de dessiner un scénario de Blueberry.Oui, je crois qu'il s'agissait du fameux Blueberry 1900 que doit dessiner Boucq. C'est une très bonne histoire mais je ne l'ai pas acceptée car je voyais trop le dessin et l'univers de Giraud dans chaque ligne écrite.Vous vous sentez attendu au tournant ?Il est de notre époque de porter un jugement en quelques minutes sur un travail de plusieurs mois. Il en est de même pour toute la création artistique. Il faut se faire une raison. Je trouvais intéressante l'idée de donner ma vision de ce jeune Blueberry de vingt ans. Beaucoup de séries sont actuellement reprises, dont certaines par de très grands dessinateurs. C'est une évolution de notre métier qui peut être très enrichissante si on y amène son propre univers.CF & BPY

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