Blueberry, plus jeune que jamais !

Par l'équipe Dargaud



 

Imaginé par Jean-Michel Charlier et Jean Giraud en 1963, le personnage de Blueberry est devenu l'un des fleurons de la bande dessinée franco-belge. Trois cycles parallèles - Marshal, Lieutenant Blueberry et La Jeunesse de Blueberry - sont aujourd'hui proposés avec, pour le dernier, la nouveauté très attendue, signée Blanc-Dumont et Corteggiani.






Michel, vous venez de terminer la dernière planche. Premières impressions, à chaud ?


MBD : C'est même encore brûlant ! D'autant que les couleurs ne sont pas encore bouclées. J'ai encore la tête dans le guidon. Même après bientôt trente ans, je ne me fais toujours pas à l'idée d'arriver au bout d'un bouquin. C'est un des grands mystères de ce métier, alors même qu'on en a ras le bol, qu'on n'en voit pas le bout, on a hâte de replonger dans le suivant. Et puis Blueberry, ça n'est pas facile. C'est un boulot énorme.



Et vous, François, c'est votre 6e scénario de Blueberry. Vous commencez à vous sentir chez vous dans la série ?


FC : On peut même dire sept, si l'on compte l'histoire que j'ai dû terminer à la mort de Jean-Michel Charlier. Puisque ce n'est pas l'adaptation d'une histoire déjà existante, forcément je finis par me l'approprier un peu. Il y a toujours des personnages auxquels je m'attache, des directions qui me séduisent plus… Je fais ce qui me plaît en m'efforçant de rester le plus respectueux possible.



Gardien du temple ?


FC : tout à fait. Pourquoi vouloir à tout prix être iconoclaste, brûler ce qui a été fait…



A l'époque de votre premier Blueberry vous disiez que votre souci était surtout de vous approprier le personnage. Après trois albums, la greffe a pris ?


MBD : Je n'y pense plus. C'est incroyable de voir combien on arrive à rentrer dans un univers étranger de façon toute naturelle. Et puis le travail avec François est tellement agréable.



Comment vous y prenez-vous au moment d'entamer une nouvelle histoire ?


FC : Comme pour les autres séries, avec beaucoup de circonspection. Les envies graphiques de Michel me guident également, mais dans cet album par exemple, c'est moins angoissant car nous sommes en plein dans un cycle ; on sait où on va. Dernièrement j'ai fait une erreur de date que j'ai pu rattraper à temps grâce à un bouquin trouvé par hasard et que je ne connaissais pas. Mais cette erreur m'a donné l'idée d'une autre histoire. C'est en constante évolution.



La jeunesse n'est pourtant pas une série historique.


FC : Oui je suis d'accord, mais il y a toujours des types pour vous écrire que vous avez oublié tel détail ou fait telle erreur de date… Déjà Jean-Michel prenait parfois de grandes libertés avec la réalité historique et c'est le souffle de l'aventure qui finit par tout emporter. Mais je tiens quand même à une certaine précision historique pour aborder la fiction.



Michel, avez-vous l'impression d'orienter la série par vos envies ?


MBD : C'est évident. Dans le précédent, je voulais vraiment dessiner des troupeaux de vaches et des vrais cow-boys. C'est d'ailleurs amusant de mettre ça dans une histoire de cette époque-là. Pour cet album, il y a très longtemps que je voulais dessiner des trains. Ça me démangeait, c'est vraiment un très beau truc. François me renvoie la balle de façon délicieuse.


Mais je n'ai pas de vision à long terme de la série, c'est plutôt le domaine de François. Il fait un quasi-travail de voltigeur au milieu de toutes ces pistes lancées. Moi j'interviens plus au niveau des univers, des ambiances et des envies graphiques… J'ai hâte par exemple de réaliser cette fameuse histoire située dans les bayous… Je viens de voir aussi ce film vraiment magnifique sur les régiments noirs, Glory, ça donne des directions, il y a sûrement quelque chose à faire dans cet esprit-là.



Dernier Train pour Washington clos le cycle entamé tous les deux ?


FC : Non ! Il ne s'achèvera qu'au suivant, Il faut tuer Lincoln. Avec Michel, j'ai trouvé d'autres directions en cours d'histoire qui nous ont amenés à étoffer le récit.



Vous êtes prisonnier du rebondissement incessant propre à l'écriture feuilletonesque de Charlier


? FC : Pas du tout, Jean-Michel disait que ce n'était pas des ficelles sur lesquelles il tirait mais sur des câbles ! On est un peu dans le même cas. Je trouve cela très amusant. C'est le jeu. Avec Michel, nous n'avons pas envie de traiter La Jeunesse de Blueberry à la manière de La Guerre des tranchées de Tardi. Son propos est différent, adulte et réaliste. Tout le monde sait que la guerre de Sécession a été, toutes proportions gardées, tout aussi dramatique que la Première Guerre mondiale, mais ce n'est pas l'objet de notre travail. Nous voulons rester dans le feuilleton et, d'une certaine façon, fuir la réalité ou jouer avec, à travers ses miroirs déformants.



On sent chez vous un plaisir évident à travailler ensemble.


FC : On s'entend vraiment très bien. Nous savons tous les deux que nous travaillons sur quelque chose qui ne nous appartient pas mais on se l'approprie quand même. On essaie d'apporter notre pierre au mythe qu'est Blueberry. Le plaisir est plus intense.


MBD : François est déjà un mec très sympa et puis aussi un grand pro. Tout est au service du dessinateur. C'est équilibré, parfaitement composé, c'est un très bon guide. En même temps, je sens qu'il ne veut rien m'imposer. C'est vraiment très agréable.



Sa manière de crobarder les scénarios ne vous gêne pas ?


MBD : Pas du tout. Au début j'aurais pu le penser. Et, si sa vision ne me plaît pas, je suis libre de composer mon image autrement. Il le fait dans un style un peu cartoon, tellement différent du mien que cela ne peut pas se télescoper. Ce qui est drôle, malgré ce style cartoon, c'est que sa façon de composer est extrêmement réaliste. Ce n'est pas de la caricature : les angles, les points de vue, le cadrage, les perspectives, tout cela est très réaliste. C'est comme au cinéma, ça m'est très utile.



Comment vous, scénariste de La Jeunesse, recevez-vous les nouveaux albums de la série traditionnelle ? Y a-t-il des interactions entre vous ?


FC : Il ne peut pas y avoir d'interactions entre les histoires puisque nous avons un cadre très strict limité à la guerre de Sécession. Mais la parution des deux séries permet d'être souvent présent en librairie, ce qui n'est pas pour déplaire à notre cher éditeur.



Blueberry implique quand même, dans la conception de ses créateurs, une dimension biographique.


FC : Bien sûr, nous respectons totalement sa biographie telle qu'elle a été énoncée dans Ballade pour un cercueil, dans le laps de temps qui nous a été accordé, c'est-à-dire les années de guerre. Cela dit, rien ne nous empêche de sortir du cadre de la guerre, à partir du moment où nous restons dans ces années. On pourrait tout à fait parler, par exemple, des régiments cheyennes ou situer une histoire en Louisiane comme on en a le projet Michel et moi.



Vous imaginez un jour reconnecter La Jeunesse avec Fort Navajo ?


FC : C'est inévitable puisque, à force de dérouler les dates, nous finirons par arriver au bout de la guerre de Sécession. Cela dit, on peut aussi s'autoriser un retour dans le temps. Pour l'instant nous nous en tenons à la chronologie, c'est-à-dire, grosso modo, de la campagne de Sheridan d'un côté et de l'avancée de Sherman de l'autre.



Vous avez apporté une petite touche d'humour dans les derniers albums.


FC : Vous voulez sans doute faire allusion à l'apparition de Scarlett O'Hara et Rett Butler ou encore des Tuniques bleues dans le dernier album ? Il s'agit juste de clins d'œil. La présence de Blutch et Chesterfield est un salut à Raoul Cauvin. On attend maintenant qu'il nous renvoie l'ascenseur… Déjà avec Colin Wilson, nous avions fait allusion au mécano de la générale et à Buster Keaton ! Mais il n'y a rien de systématique. Jean-Michel Charlier mettait également de l'humour dans Blueberry, mais d'une autre manière.



Les Indiens ne vous manquent pas, Michel ?


MBD : Je me suis fait une raison. Mais je ne lâche quand même pas l'affaire. Nous avons là aussi une piste avec les Indiens Cheroquee, dont beaucoup d'entre eux étaient éclaireurs. Avec tout ce que nous avons imaginé, nous avons de la matière pour 7 ou 8 albums au moins.



Vous semblez prendre beaucoup de plaisir à animer la jolie Eleonor Mitchell ?


FC : On avait très envie de créer une jolie espionne, façon Milady de Winter. C'est notre Lady X à nous. Une vilaine mignonne si vous voulez ! On n'a pas résisté à l'envie de la mettre en couverture cette fois-ci.



Vous créez progressivement un petit univers autour de notre jeune lieutenant.


FC : Oui, il faut dire que nous ne pouvons bénéficier ni de la présence de Mac Clure, Red Neck ou Pearl. Alors on a créé Bowman, Grayson et Homer, parce qu'il fallait bien lui trouver des ennemis et aussi des potes pour jouer aux cartes et fumer de gros cigares, ce qu'il ne fait pas encore. J'aimerai d'ailleurs bien que Michel dessine Blueberry un peu plus négligé, mal rasé. On est en pleine guerre que diable !



MBD : Il est trop jeune et n'a pas encore de poils au menton ! Bien qu'en regardant mon fils de 17 ans, je me dis qu'il est peut-être temps de lui en coller quelques-uns au prochain album, c'est promis ! Le problème vient aussi de l'encrage qui a tendance à durcir les traits. Blueberry jeune est très difficile à dessiner. Je lui laisse ainsi un peu de sa jeunesse.



Vous dessinez maintenant sur quatre bandes. C'est un gros changement après tout l'espace dont vous disposiez dans Cartland ?


MBD : Disons que j'ai eu la chance de pouvoir dessiner sur trois bandes avant… Aujourd'hui, en contrepartie, j'ai beaucoup plus d'action à dessiner et cela me plaît bien. Mais c'est le jeu de la série. Les lecteurs attendent du mouvement, du rythme, on ne peut pas les décevoir ; c'est comme une complicité avec eux.



Blueberry doit prochainement retourner sur les traces de sa mère. Est-ce prochain cycle ?


FC : On ne sait pas encore, pour l'instant c'est juste une idée comme ça. Michel a très envie de dessiner la Louisiane mais c'est peut-être encore un peu tôt. L'épisode que nous entamerons après ce cycle s'intitulera Le Boucher de Cincinnati. Après on verra. Il faudrait faire des repérages sur place et on attend que notre éditeur nous y envoie…



Vous venez juste de recevoir les dernières planches du nouvel album. Quel effet ça fait ?


FC : C'est toujours un plaisir immense. Il faut dire que mes pages sont écrites depuis six mois parfois. C'est une découverte à chaque fois. Je vous recommande par exemple la dernière page de l'album, qui est une image unique… Magnifique !



Christelle Favre & Bertrand Pissavy Yvernault

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