Blanc autour : liberté, égalité, sororité !
Avec Blanc autour, Wilfrid Lupano et Stéphane Fert racontent l’épopée tumultueuse - et véridique - d’une école réservée aux jeunes filles noires dans le Connecticut du XIXe siècle. Un récit aussi passionnant qu’émouvant, qui prend d’autant plus de force dans le contexte actuel de manifestations contre les violences raciales.
Blanc autour n’est pas seulement un récit puissant dont les personnages resteront longtemps gravés dans la mémoire des lecteurs. C’est aussi et d’abord un livre politique, dans le plein sens du mot, qui témoigne de la longue marche des Noirs américains vers l’intégration, et du combat des femmes pour accéder, au même titre que les hommes, à une éducation digne de ce nom.
La lutte pour l’intégration
Blanc autour traite des difficultés rencontrées par la population noire pour s’intégrer dans la société américaine. Même si le récit se déroule dans la première moitié du XIXe siècle, le lecteur ne peut s’empêcher de penser à la situation actuelle.
Près de deux cents ans après l'époque abordée dans l'album, cette communauté est toujours soumise aux discriminations et à la violence, comme en témoignent les récents événements tragiques dont la mort de George Floyd. Selon Wilfrid Lupano, le scénariste, Blanc autour renvoie à deux thèmes qui restent d’une actualité brûlante : le combat des femmes pour faire reconnaître leurs droits et les brutalités policières - allant parfois jusqu’au meurtre - dont sont trop souvent victimes les Noirs américains.
La peur de l’autre
Dans Blanc autour la peur de l’autre s’incarne dans la peur du Noir. Les habitants de Canterbury craignent d’autant plus les « gens de couleur » qu’ils se souviennent des émeutes menées par Nat Turner. Un an plus tôt, en Virginie, cet esclave révolté et ses hommes avaient procédé, dans plusieurs plantations, au massacre d’une soixantaine de Blancs, enfants et vieillards compris. Nat Turner, prédicateur et gourou, possédait une caractéristique qui le rendait d’autant plus dangereux : il savait lire et écrire…
Dès lors, l’accès à l’instruction de la population noire ne pouvait être perçu que comme une menace potentielle pour la société américaine blanche et la préservation de l’ordre social.
Quelle place pour les femmes ?
La démarche de Prudence Crandall se révèle doublement révolutionnaire. Avant de faire scandale en réservant son école à des élèves noires, l’institutrice enseignait déjà à une vingtaine de jeunes filles blanches. L’accès des femmes à l’éducation, dans cette Amérique des débuts du XIXe siècle, apparaissait comme une lubie. Le rôle social de ces dernières ne nécessitait en effet pas qu’elles accèdent au savoir.
Les habitantes de Canterbury, citoyennes de second rang, sont d’ailleurs exclues de l’assemblée municipale. Prudence ne peut donc pas défendre son projet d'école auprès des autorités locales, ce qui l’incite à prendre la parole en public à la sortie de l’église en clamant haut et fort que l’épouse de Moïse était noire…
Changer la société
L’épopée de cette institutrice courageuse a contribué à faire évoluer les mentalités aux États-Unis. Plusieurs de ses élèves noires ont pris conscience de leur situation d’infériorité et se sont politisées. Certaines sont devenues des militantes du mouvement abolitionniste et se sont engagées en faveur de l’amélioration des droits des femmes. Une postface de Joanie DiMartino, Conservatrice du musée Prudence Crandall, revient sur le parcours de quelques-unes d’entre elles. À commencer par Sarah Harris Fayerweather, la toute première élève de l’école, figure centrale de la communauté abolitionniste et dont la sœur, Mary, enseignera à d’anciens esclaves avant de devenir professeure de littérature.
Mis en images par le trait subtil et les couleurs tendres de Stéphane Fert, Blanc autour est un ouvrage essentiel. Si Wilfrid Lupano souhaitait raconter une histoire forte, il entendait aussi témoigner des tensions raciales à l’œuvre dans l’histoire des États-Unis, et dont l’actualité se charge de nous rappeler à quel point elles restent présentes.
Nous vous offrons la lecture des premières pages de Blanc Autour !