Un auteur qui a du cœur !

Par l'équipe Dargaud

Le premier tome des Coeurs boudinés a été un révélateur d’une nouvelle bande dessinée au ton différent. Beaucoup de libraires et de journalistes ont relevé l’originalité et l’audace de cette série – qui n’en n’est d’ailleurs pas une au sens exact. De l’humour, de l’intelligence, un brin de cruauté et surtout de tendresse pour les personnages : Jean-Paul Krassinsky fait preuve d’une acuité avec Les Coeurs boudinés dont le deuxième titre sortira à la fin de l’été....


Avez-vous eu des réactions de lectrices depuis la parution du premier volume ?


Oui, pas mal, par courrier ou lors des séances de signature. Je dois avouer que j’ai souvent été ému par ces réactions, d’autant plus que pour certaines d’entre elles, elles provenaient de lectrices qui ne lisaient que rarement, voire jamais, de bandes dessinées. C’est plutôt gratifiant !


Votre propos dépasse de loin le simple regard simplifié que portent les hommes sur les femmes. Il y a, sinon une vision de la société, du moins un aperçu des relations hommes/femmes pas toujours à l’avantage de ces messieurs...


C’est vrai que les rapports humains me passionnent. Les gens sont incroyables. C’est un spectacle en renouvellement perpétuel, je crois que je ne m’en lasserai jamais. Et si, effectivement, les hommes en prennent pour leur grade dans mes histoires, je me garde de faire une généralisation à leur propos. Il y en a quand même qui s’en tirent pas mal… mais bon, ils sont moins drôles !


Dans cet album le chanteur Ricky est tellement pathétique qu’il finit par en être touchant !...


Ricky est dépassé par ce qu’il lui arrive en général et plus particulièrement sur le plan sentimental. Il aimerait sans doute que le monde soit plus simple, à la manière dont il le rêve au travers du prisme de la célébrité. Le fait qu’il soit sous le feu des projecteurs lui donne l’impression qu’il est intouchable. Comme ce n’est pas tout à fait le cas, il morfle pas mal.


Vos personnages féminins ne sont ni des top modèles, ni des super-women, elles incarnent des femmes de la vie quotidienne. Pourtant votre personnage Morticia a une vie « schizophrène » : serveuse anonyme le jour, elle devient reine d’un club fréquenté par des Gothiques la nuit...


À une époque de ma vie, le hasard a voulu que je traîne dans un bar gothique. J’étais le seul à être habillé d’un pull blanc, mais ça ne m’empêchait pas de discuter avec les habitués, qui étaient plutôt vêtus de noir de la tête jusqu’aux orteils... Parmi eux, il y avait une fille qui se faisait appeler Morticia. Elle avait une panoplie gothique très soignée et semblait tenir un rang élevé dans la hiérarchie inconsciente du petit groupe. Mais le jour, elle s’appelait Soizic et elle était caissière à la FNAC ! Une vraie double identité, un peu comme dans les histoires de superhéros : lorsque Clark Kent devient Superman ! (Rires). C’est cette petite anecdote qui a servi de point de départ à mon histoire.


Cependant, dans l’album, j’ai montré une communauté de Vampyres (avec un « y »). Le « Vampyrisme » est une subculture en pleine émergence dans les grandes capitales et dont New York est le berceau . Pour résumer très grossièrement, il s’agit de gens qui adoptent le mode de vie des vampires, leur esthétique, sans nécessairement consommer du sang(1). Cela va donc un peu au-delà du simple mouvement gothique.


Je pense que ce type de communautarisme, qui n’est pas lié aux origines ethniques, sociales ou religieuses des individus est symptomatique d’une mutation sociologique profonde : La société dévalorise l’anonymat et la standardisation et comme tout le monde ne peut pas être chanteuse, acteur ou footballeur, il faut trouver des dérivatifs. L’appartenance à un tel mouvement constitue une « customisation » de l’identité, un renforcement narcissique appréciable. C’est aussi un déplacement des codes de séduction conventionnels, ce qui n’est pas inintéressant quand on est petite et un peu grosse !


Ce tome contient trois histoires de jeunes femmes avec l’une d’entre elles, Mimi, qui fait l’objet d’un récit plus long. Pourquoi ?


Pour ne pas trahir la psychologie de l’héroïne, Mimi. Au début de l’histoire, elle sort d’une rupture amoureuse. Elle essaie de se remettre en selle en cherchant le prince charmant parmi les candidats locaux, entre le village de Moizillac et le hameau de Pontcharmin. Évidemment, ça se passe mal, et au premier abord, on pourrait croire qu’elle cherche à se venger de la gente masculine, mais il n’en est rien : c’est simplement son niveau d’exigence qui a augmenté…


C’est un ressort de comédie assez complexe, j’ai donc du prendre plus de place que précédemment pour saisir les nuances de la situation, ne pas caricaturer. Ajoutez à ça quelques personnages secondaires qui m’ont amusé pendant l’écriture et dont il a fallu gérer les débordements , et vous avez 30 pages de faites !


Mais je considère de toute façon Les Cœurs boudinés comme une suite thématique plutôt que comme une série traditionnelle. J’aime l’idée qu’au sein d’une série, on puisse renouveler le menu à l’infini. D’ailleurs, j’ai un scoop : le troisième volume sera une histoire longue !


Seriez-vous du genre à observer vos concitoyens dans la vie de tous les jours et à consigner leurs petits travers ? !...


On a les loisirs qu’on peut ! (rires)


Selon vous l’humour permet-il de tout faire passer ? Bien sûr, c’est pour ça que je suis toujours très méfiant envers les gens qui essaient de me faire rire ! (rires)


François Le Bescond

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