Riad Sattouf, insatiable !
Vous ne pouvez pas le rater en librairie : Riad Sattouf, auteur du nouveau Jérémie (“Poisson Pilote”, Dargaud, en novembre) a également signé Retour au collège ( Hachette littérature, en septembre) et Pipit Farlouse (Milan, en septembre encore) alors que commence la prépublication du tome 2 dans Capsule cosmique. L’occasion d’en apprendre un peu plus sur cet auteur particulièrement attachant.
Qu'est-ce qui peut pousser un dessinateur à abandonner le dessin réaliste (Petit Verglas) pour se lancer dans le dessin humoristique ?
Eh bien, à l'époque de Petit verglas, je dessinais déja à la manière de Jérémie, mais je n'arrivais pas à placer de projet dans ce style. J'avais écrit un storyboard complet de 46 pages d'un album "SF-comique" qui s'appellait "les aventures de cosmo". Je l'avais présenté à Delcourt et il l'avait refusé. Il faut dire que c'était pas super... En fait j'avais envie de raconter mes propres histoires, tout simplement. Je n'étais pas satisfait de mon dessin sur Petit verglas, j'étais terriblement frustré. Puis j'ai rencontré Emile Bravo, dont j'adorais le travail, et il a été très encourageant. Il m'a poussé à essayer d'écrire mes propres trucs, à recommencer...
On sent que Jérémie a vraiment été un déclic dans votre travail mais aussi dans l'accueil du public et de la profession, vous avez même reçu le prix René Goscinny...
Je me rappelle du jour ou j'ai signé le contrat de Jérémie. J'avais recu un coup de fil de Guy Vidal, me disant: "haha, ca m'a bien fait rigoler vot' truc, on peut se voir?" et j'arrivais chez Dargaud! Guy Vidal me dit comme ça, de but en blanc: "Bienvenue dans “Poisson Pilote!". Il était vraiment la première personne a me dire: "Riad Sattouf, voilà, je vous donne votre chance, allez-y". J'étais tellement heureux! En sortant de chez Dargaud, je me suis mis a courir comme un dératé en poussant des couinements de cinglé tout du long du boulevard de la chapelle! Quand Les Jolis pieds de Florence sont sortis, l'accueil qu'il a reçu m'a beaucoup touché. Et le prix goscinny aussi, surtout que c'est un prix du scénario, moi qui avait commencé comme dessinateur. Je me suis dit: "trop bien, je vais pouvoir enfin gagner ma vie en racontant mes propres histoires..." C'est un bonheur indescriptible.
Dans le prochain album on retrouvera Jérémie qui va essayer de se ranger, vivant notamment avec sa copine dans une maison avec ce que cela implique. Ce "rêve" de Jérémie, serait-il le vôtre ?!
Je voulais confronter Jérémie à cette étape classique, d'être amené à un moment ou un autre à se poser des questions sur ses comportements pour évoluer. Mais bon, dans le cas de Jérémie, ça ne se fait pas vraiment sans mal! "Les pauvres aventures de Jérémie" n'est pas une série autobiographique, c'est plutôt un condensé d'histoires provoquées par ma paranoïa…
Jérémie, c'est le anti-héros absolu, un Gaston Lagaffe d'aujourd'hui en plus complexé et plus stressé. Et le plus drôle est que l'on s'attache à lui !
Oui, sans doute, c'est son coté " petit chien " qui doit le rendre attachant. Quand je travaille ses expressions, j'essaie de leur donner un aspect canin! Jérémie ne semble pas vraiment conscient, il fait n'importe quoi n'importe comment, en s'agitant comme une jeune bichon frisé. J'ai rencontré récemment une fille qui m'a dit: "ton jérémie, je sens exactement l'odeur qu'il doit avoir"! C'est un animal je vous dis…
Votre vision de la société est plutôt cynique et sans complaisance. Seriez-vous un misantrophe aigri ou un spectateur lucide ?!
Je ne pense pas être cynique et misanthrope, mais je pense pas être lucide non plus! Je suis très sociable et j'adore rencontrer de nouvelles personnes. Mais c'est vrai que c'est le coté sombre des choses qui me fait rire, tout ce qui est ridicule et désespéré! J'ai toujours l'impression d'être dans un reportage de Strip Tease (l'émission), de voir la réalité comme ça! Le moindre fait, le moindre acte anodin, prend des proportions hilarantes juste parce qu'on le montre d'une certaine façon.
Vous abordez des thèmes parfois peu évidents, comme l'échangisme ou celui de la circoncision (chez Bréal). Ce dernier vous a d'ailleurs valu quelques soucis avec la justice; où en êtes-vous aujourd'hui avec cette affaire ?
Oui, je suis passionné par ces sujets jugés souvent comme "limite" ou "vulgaires"... C'est tellement intéressant! Suite à Ma cironcision, j'ai du aller à la police pour expliquer pourquoi j'avais présenté une image négative de mon père dans mon livre. C'était tellement ridicule que ça en devenait comique. Le jour du passage de l'éditeur devant la commission de censure, la représentante du ministère de l'intérieur (à l'époque, Sarkozy) a décrété gravement mon livre raciste envers "les Cimmériens" (je rappelle que c'est la tribu de Conan le barbare)! Quand on lui a indiqué que les Cimmériens étaient des personnages de fictions dans les livres d'Howard, elle s'est étonnée: "ha bon? C'est pas une tribu de bédouins de Syrie?" sur le ton méprisant qu'on imagine… Mais a part ça, j'ai reçu beaucoup de lettres de médecins et de personnes ravies que je puisse parlé de ce comportement violent et mutilatoire qu'est la circoncision.
Crumb pense que “la réalité n'est pas faite pour être visuellement plaisante”. Qu'en pensez-vous ?
Et bien je suis évidemment d'accord : je ne vois pas quoi dire de plus…
Question à laquelle avait répondu Desproges à sa façon : selon vous, peut on rire de tout ?
Je pompe sa réponse! "Oui mais pas avec n'importe qui"!
Vous être d'origine syrienne, cela vous permet-il pas d'avoir d’une certaine façon une vision plus aiguë sur la société française, un regard plus neutre ?
Je ne pense pas avoir de "vision de la société", c'est assez prétentieux. Je suis trop parano pour avoir une "vision" quelconque! (rires)
La collection "Poisson Pilote" fera l'objet d'une exposition à Angoulême où plusieurs auteurs de la génération Pilote témoigneront. Certains d'entre eux, dont Pétillon, Bretéche, F'murrrr ou Lauzier, ont déjà dit tout le bien qu'ils pensaient de votre travail. Ça fait quoi d'être "adoubé" par ces auteurs prestigieux ?
Hé bien, cela fait très plaisir : ce sont des auteurs que j'admire énormément. Mais c'est aussi angoissant, car le plus terrifiant est de réussir à avoir une carrière aussi longue, productive et belle que la leur… Ça c'est pas gagné!
Vous travaillez aujourd'hui dans la presse pour Charlie hebdo, Fluide Glacial, Capsule Cosmique, Bang et "l'irrégulomadaire" qu'est Pilote. Pour vous la presse est une nécessité ?
Je dirais que oui, dans le sens ou cela me permet de toucher un large public et d'aborder des thèmes différents! Mais quand je vois cette imposante liste de journaux, je me dis que les gens risquent d'en avoir marre de ma pomme...
François Le Bescond