Réhabilitons le concombre !
En cette période trouble pour le concombre (même s'il semble qu'il soit blanchi de toutes accusations), nous avons voulu nous pencher sur le cas du plus célèbre des cucurbitacées : le concombre masqué.
L'auteur Mandryka nous raconte sa genèse :
« Le « copyright », le personnage de Jean-Claude Forest, avait son propre langage et faisait des gags. Son univers me fascinait et j’ai voulu me trouver un personnage à moi, dans le même genre mais le plus original possible. J’ai donc passé en revue les légumes et j’ai choisi le concombre, qui me paraissait le plus drôle. Comme beaucoup de mes héros de BD et de cinéma étaient masqués, entre Zorro et Le fantôme du Bengale (un dieu pour moi !), je l’ai masqué aussi. À travers lui, je racontais ce qui m’arrivait quotidiennement. Je m’exprimais complètement. J’ai utilisé ensuite en BD ce que j’avais appris au cinéma, dont le découpage et le timing. »
Nikita Mandryka définit ironiquement les aventures du concombre: « une grande saga romantique qui est à la BD ce Qu’autant en emporte le vent est à Ben Hur. Bien des zones d’ombre subsistent sur le personnage. C’est un virtuose du dérapage. Un styliste dont l’engagement s’arrête aux portes de la lucidité. »
1973 : Les Aventures potagères du Concombre Masqué, une plongée quelque part au bout du monde, au milieu du désert de la folie douce où se dresse le cactus block-haus. En prologue, « Keskeucé ?! » « Protz-chiak, quel horrible grochemard ! » Le concombre, réveillé par des éléphants qui jouent au bowling dans le grenier, s’aperçoit qu’il a une araignée dans le plafond. Son vieux copain Chourave, autre légume inséparable de ses aventures, l’amène chez le Dr Freud. Les épisodes se suivent, intitulées « météodégoulnasserie » ou « énergations protesmétiques » sous l’oeil d’un soleil à gros nez dans tous ses états, de son lever au coucher. Un réveil-matin sur pattes, personnage récurrent, subit des tabassages en règle.
1975 : Le Retour du Concombre Masqué. L’univers délirant de Mandryka se déchaîne autour d’un musicien de jazz black, le Concombre danse avec une femme noire, un paquebot navigue entre ciel et terre, le soleil à gros nez reste omniprésent et le réveil toujours malmené. Les éléphants sont de plus en plus envahissants et on découvre qu’Archimède habite le cerveau du concombre où il prend régulièrement sa douche…
1980 : Comment devenir maître du monde. Le Concombre, démasqué et vieilli, arborant des moustaches blanches, affublé d’un turban et de babouches, vit dans un château de sable et de pierres. Pour le journaliste Célestin Sucebonbon venu l’interviewer, il se souvient de sa jeunesse et de son accession au statut de maître du monde, grâce au « Livre du grand tout » du moine fou Barbapou. Le Concombre retrouvera son look, son cactus et son univers habituel, peuplé de gentils monstres et d’éléphants.
1981 : La Vie quotidienne du Concombre Masqué. Le héros est devenu chef de gare, station Mercadet Poissonnière. « C’est ingouzevable » se dit son vieux pote Chourave mais la mère-grand du Concombre est bien contente qu’il ait trouvé du boulot. Alors passent des motives, de grosses baleines vivant dans les sables du désert. D’infâmes « motiviers » les transforment en loco-motives sur rails. Trois femmes, soumises et nues, habitent le cactus, dévouées à leur maître macho, côtoyant les incontournables éléphants et le réveil tabassé. Pourquoi les éléphants, Nikita ? : « Cela vient de mon enfance. Je manquais d’espace. Les Russes ont une relation très fusionnelle à l’autre et peuvent vivre à plusieurs dans une même pièce. Énorme capacité d’Amour, mais qui peut se révéler étouffante : « Quand on dépasse les bornes, il n’y a plus de limites. » J’ai eu du mal à dé-fusionner. »
1983 : À la poursuite du Broutchlague Mordoré. Le prince Molossol, glorieux aïeul du Concombre, lui a laissé une pile d’ouvrages et une carte au trésor. Avec Chourave et un canard muni d’une panoplie d’outils (hello Forest), la quête au trésor se solde par l’apparition du Broutchlague, sympathique génie sorti d’une lampe à souder : un festival déjanté, avec des cases d’un dessin classique, un vaisseau spatial façon Druillet où sévit le cruel Grand Mogul, un fer à repasser gonflable en guise de fusée et l’arrivée du terrible « Grand Patatoseur » qui transforme ses adversaires en patates.
1983 : Le Concombre contre le Grand Patatoseur. Notre héros, avec son inséparable Chourave, auront raison de l’ignoble individu-machine qui, au passage, a « patatosé » par erreur sa propre mère. Ils libèrent au passage Gronounoursse, une sorte de King-Kong innocent et naïf, enchaîné par le Grand Patatoseur, déjouent les ruses de son valet Fourbi avant de revenir au Bercail-Cactus auprès de Grand-Maman Concombre.