Red comme Rouge

Par l'équipe Dargaud

Deux ans après la disparition de Michel Greg, Michel Rouge & Rodolphe ont achevé le dernier scénario de cet immense auteur, créateur d’Achille Talon, Bernard Prince, Bruno Brazil et bien d’autres. 19 pages, Greg nous avait laissé dix-neuf pages de Red Dust Express, sombre histoire de magouilles ferroviaires avec de vrais salauds (on est dans un vrai western) et quelques héros uniques tels Red Dust ou Comanche qui font tout le charme de cette série à la fois violente, sombre et tendre




Vos débuts dans la BD ?


Assistant sur Rahan, puis déjà du western avec Capitaine Apache dans Pif Gadget, Rodolphe enfin avec lequel j’ai publié mon premier album.


Et maintenant vous retrouvez Rodolphe pour Comanche…


Oui, et il a vraiment très bien terminé l’album. Greg aurait été content du scénario, cela veut tout dire !


Pouvez-vous me parler de votre rencontre avec Greg ?


C’est Greg qui m’a contacté à une époque où j’étais en conflit avec Glénat, c’est un coup de fil qui est vraiment bien tombé ! J’avais vraiment de gros soucis, et j’ai répondu oui immédiatement, sans même hésiter une seconde. J’étais vraiment ravi de travailler avec quelqu’un comme Greg, grand scénariste parmi les derniers grands scénaristes des années 60.


Le courant est tout de suite bien passé ?


Oui, on s’est vraiment très très bien entendu, d’abord parce que c’était un grand professionnel, et que son travail, sur le plan technique, était absolument irréprochable. L’organisation du travail était parfaite, un vrai bonheur. J’avais connu avant des scénarios sur lesquels on pouvait encore travailler. Là, avec Greg, on ne pouvait rien rajouter ni rien retrancher, c’était un travail au rasoir, je crois que Charlier était un peu comme ça aussi. Et puis, c’était un homme formidable.


Que représente pour vous ce dernier scénario de Greg ?


Une immense tristesse, la fin d’une période dans laquelle je me sentais vraiment bien, la fin des scénarios au cordeau et surtout la fin d’une relation avec un très grand bonhomme. Je ne me suis jamais entendu aussi bien avec un scénariste. Il avait une attitude de “bon chef”. Entre un scénariste et un dessinateur, il y a une hiérarchie et Greg occupait ce rôle de chef à la perfection sans se poser de question. Il comprenait le scénario comme quelque chose de directif, il était aux manettes, et si l’on respectait cette hiérarchie, ce qui était mon cas, il n’y avait aucun problème.


Reprendre Comanche après Hermann n’était pas trop intimidant ?


Non pas vraiment, je trouvais Hermann impressionnant au niveau de la mise en scène, de l’enchaînement des plans mais pas trop au niveau graphique et, à cette époque, je ne voyais que le graphisme. C’est plus tard que j’ai compris la puissance, le mouvement des images et, du coup, la performance d’Hermann. Sur le plan de la mise en scène, il n’y a que Giraud et bien sûr Uderzo qui lui soient supérieur. Les cadrages d’Hermann sont vraiment très, très justes.


Et reprendre Marshal Blueberry, héros créé par Giraud et dessiné par Vance, quelle responsabilité !


Oui ! Mais la responsabilité, elle est surtout vis-à-vis de Giraud, c’est lui qui faisait la mise en scène et ça, c’était parfois un peu angoissant, il corrigeait les crayonnés.


“Le maître, c’est Uderzo”



Avec ce relais de Hermann, Giraud, Vance, avez-vous l’impression d’être un grand dessinateur classique, “à l’ancienne”, si l’on veut ?


Grand, déjà, je ne sais pas si c’est le bon mot ! ! A l’ancienne, non, sûrement pas, je ne me reconnais pas du tout comme un dessinateur à l’ancienne. Pour moi le dessin, tel que Giraud l’a mis au point, c’est un dessin qui est très très proche de l’efficacité cinématographique, et qui reste inégalé et toujours très moderne. Ces codes ont été définis d’abord par Jijé, puis par Uderzo, puis par Giraud. On n’a rien trouvé de mieux. C’est un dessin qui ne s’embarrasse pas de bavardages graphiques, et le maître, c’est Uderzo. Tanguy et Laverdure, c’est d’une élégance, d’une précision, d’une souplesse et d’une constance incroyables. En lisant Tanguy, on oublie totalement le dessin, on est dans l’action, happé, captivé comme au cinéma où l’on oublie qu’il s’agit d’une suite de photos. Avec un dessin comme celui d’Uderzo, il me semble que l’on est totalement immergé dans l’histoire, alors qu’avec un dessin trop graphique, comme celui de Max Cabanes, que j’admire par ailleurs, on entre dans de la littérature graphique, ce n’est plus la même chose.


En tout cas, votre œuvre est profondément marquée par le western.


Sur le plan symbolique, le western est le lieu d’élaboration du monde moderne au sens politique, géopolitique, économique, c’est un lieu dans lequel tout est en germe, au cœur de la modernité. Et en littérature, le western a donné naissance au polar, à l’espionnage.


Philippe Ostermann

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