Pierre-Henry Gomont raconte la genèse de sa BD, Slava

Dans un récit où le comique ouvre la porte au tragique, Pierre-Henry Gomont esquisse la destinée d'un peuple confronté à la furie de l'Histoire.

Une nouvelle comédie à la piquante profondeur, bien plus politique qu’il n’y paraît.

Télérama

Ses personnages, épiques et profondément humains, éprouvent la difficulté qu'il y a à se tenir droit dans une époque tourmentée. Ils n'aspirent pas à autre chose qu'à continuer : continuer à vivre, à être ensemble, à s'aimer et même, à peindre.

Comment survivre dans un monde qui tombe en ruines ? Par Pierre-Henry Gomont

J’ai commencé Slava, cette histoire en trois tomes, au printemps 2021, un peu avant que la Russie  n’envahisse l’Ukraine. 

Mais ce fait géopolitique n’a pas tellement bousculé le contenu de mon  livre, parce que mon propos n’était pas tant de décrire les velléités impérialistes russes que de  raconter ce que furent, pour le clampin moyen, les années Eltsine, l’effondrement politique et le  passage à l’économie de marché. 

Ce tournant, je l’ai observé non pas en Russie même, mais en Europe Centrale et Orientale au cours de voyages que j’ai effectués à partir de la fin des années 1990.

Pourquoi raconter cela ?

La Russie est un pays lointain, qui n’a a priori que peu de points communs avec nos sociétés, et je ne souhaite pas faire œuvre d’historien ni de sociologue. Seulement, dans le passage à l’économie dite de marché, dans la brutalité avec laquelle le peuple russe a été privé de ses ressources, lesquelles sont tombées entre les mains d’une poignée d’oligarques, j’y voyais comme un miroir grossissant de nos propres pays et des changements qui ont été mis en oeuvre depuis plus de 40 ans. 

Après tout, les industries du Nord et de l’Est de la France ont été vendues et démantelées avec le même cynisme qu’en Russie, et ceux qui y travaillaient ont été abandonnés de façon certes moins frontale, mais non moins violente.  

La fresque slave de Pierre-Henry Gomont a quelque chose de visionnaire. 

Le Figaro Littéraire

Ainsi, attablé devant ma feuille blanche, je me suis posé la question suivante : comment survivre dans un monde qui tombe en ruines ?  Comment un collectif peut-il se maintenir  quand plus aucune des valeurs qui le structuraient n’a cours ? Et quand on fait un métier aussi inutile que celui de Slava, qui est peintre, quel sens cela a-t-il de continuer à exercer son art ?

Alors que je viens tout juste de finir ce triptyque, voilà que notre propre pays est sur le point de basculer dans le chaos car, les mêmes causes produisant les mêmes effets, l’extrême droite s’est imposée en Russie et ne cesse de gagner du terrain  en France. 

Le miroir que je croyais grossissant ne l’est en fait pas tant que cela, le spectre d’un effondrement politique n’est plus si lointain, et la question que je me suis posée pour Slava s’applique à nous autres :  Est-il utile de faire des livres, et d’en  parler ? Et, si oui, faut-il ne faire plus que des livres engagés ? Jamais de la vie. 

Je ne me vois pas faire la leçon aux uns et aux autres sur ce qu’il faudrait penser, et je ne souhaite pas utiliser mes livres pour véhiculer mes propres opinions. 

Les leçons que l’on tire de la littérature, qu’elle soit dessinée ou pas, sont d’un autre ordre. 

Une image saisissante pour dépeindre la Russie d’alors. 

Le Monde

Je ne veux pas dire ce qu’il faut penser, mais mettre en scène des situations, des personnages et des discours qui interrogent. C’est la magie d’un personnage que de nous faire comprendre son point de vue, ses contradictions, ses insuffisances, en somme, de nous ouvrir à son altérité. La magie d’un personnage et donc, la puissance de la fiction. 

Cette histoire en bande dessinée avait commencé sur le ton de la comédie (j’avais en tête une  référence très peu russe, c’était le Pigeon, de Monicelli, avec ces bras cassés qui s’essayent à la cambriole). Elle se termine de façon plus dramatique. Mes personnages ont pris ce chemin parce qu’ils s’inscrivent dans une tradition littéraire russe, une littérature en clair-obscur, où le comique et le burlesque servent d’écrin pour raconter la tragédie. 

On y suit de petites gens qui tentent de survivre dans le chaos, qui se savent broyés par le cours des choses, mais qui se refusent au cynisme de l’époque. 

De petites gens qui essayent de continuer, continuer à vivre, à s’aimer, à  travailler, et pourquoi pas, à peindre.

Sans doute faudra-t-il faire comme eux.

Au cœur de la planche

Entrez dans l'atelier de Pierre-Henry Gomont et découvrez en détail son travail sur une double page de Slava dans notre émission Au cœur de la planche réalisée lors de la parution du tome 1, en 2022.

En librairie

Retrouvez en librairie les trois tomes de la magnifique série Slava de Pierre-Henry Gomont, ainsi que ses esquisses et ses travaux préparatoires dans le livre Slava, Repérages. Et pour en savoir plus sur la série Slava, retrouvez notre article : Slava, un "eastern" en pleine chute de l'URSS

Bonne lecture