Philippe Luguy : Le retour de Percevan
C'est à un train de sénateur que Philippe Luguy nous offre, de temps à autre, le bonheur d'un nouveau Percevan. Le septième sceau, qui vient conclure le précédent album, est un véritable déferlement d'images et de prouesses graphiques, comme on en a rarement connu en bandes dessinées classiques. Notre homme est probablement au sommet de son art, un art qu'il a toujours cultivé depuis ses débuts, un art fait d'imaginaire fantastique et de merveilleux.
Cela semble avoir toujours été votre marque de fabrique ?
C'est vrai. Cela me permet de délirer graphiquement. J'aime cet instant où l'histoire fait déconnecter de la réalité. Beaucoup de gens recherchent comme moi cette dimension. Le monde est dur et nous avons tous besoin d'en sortir de temps en temps. Je le fais à travers mes dessins. Conserver un imaginaire de gosse, c'est ma forme de liberté. Je suis par exemple en train de dessiner un château pour le prochain épisode de Percevan « Les terres sans retour » et il est complètement inventé. Mon propos, finalement, c'est de rêver, de m'amuser et si je provoque les mêmes sensations chez les lecteurs, c'est super…
Jean Léturgie vous fait du « sur-mesure » ?
Nous avons une grande complicité, on se renvoie la balle. Il me connaît très bien et sait écrire des scènes où mon dessin prendra toute sa mesure. Le connaissant très bien également, j'essaie de mettre en valeur ses scénarios. J'espère y arriver… En tout cas, je ne me prive pas du plaisir du détail et je peux passer quinze jours sur une planche s'il le faut. Et Jean de me dire : « mais pendant que tu as dessiné cette page, tu avais le temps d'en faire dix autres ! »
Effectivement vous semblez littéralement vous « éclater » sur certaines planches ?
Eclater… c'est le mot. Peut-être va-t-il falloir que je me calme un peu. Ce plaisir graphique peut nuire à l'efficacité du dessin. Actuellement, je cherche à alléger les détails pour gagner en dynamisme et en lisibilité. Si ! Si ! J'essaie. Cela dit, je manque cruellement de recul et une fois le bouquin achevé, je ne n'y vois plus que les défauts et les erreurs. Je suis satisfait d'être parvenu au bout du challenge que représente un album mais insatisfait du résultat. C'est sans doute le lot de tous les collègues. En guise de consolation, je me dis que je ferai peut-être mieux au prochain épisode.
Vous avez la réputation d'être un dessinateur lent. C'est dû à ce perfectionnisme ?
Probablement. En réalité, je suis un boulimique lent. Jean dit souvent qu'il a écrit « le Sablier d'El Jerada » (qui se déroule dans le désert) dans l'espoir que je dessine plus vite… Et il ajoute « Mais cet animal de Luguy en a dessiné tous les grains de sable ! ». N'allez pas croire que je suis inactif pour autant. Je termine un autre album « Gildwin, les légendes océanes ». Je dessine le prochain Percevan, sans compter l'édition des albums de Sylvio dans lesquels de nombreuses pages inédites sont ajoutés. Simultanément je suis sur un one-shot en couleur direct, sur scénario d'Eric Corbeyran. J'espère montrer une autre facette de mon travail et prendre une petite récréation en dessinant une histoire un peu plus adulte.
Parce que vous avez l'impression que les dessinateurs « tout-public » sont moins reconnus ?
Non, je ne le crois pas… L'important, il me semble, c'est de faire ce que l'on fait avec sincérité, quel que soit le sujet. On peut s'adresser au tout public - expression que je n'aime pas beaucoup - sans pour autant le prendre pour un imbécile. Et puis, encore faudrait-il définir la notion de « reconnu »… Si c'est faire le métier que l'on a choisi et en vivre tout en s'amusant et en vivre, alors je suis « reconnu ».
On voit régulièrement Percevan au lit avec ses conquêtes. Il est un des rares personnages « classiques » à avoir une sexualité.
Oui. Ca m'a toujours gêné que les femmes ne soient représentées que par la Castafiore. Et ne parlons pas de Blake & Mortimer. Certes, me direz-vous, l'époque était différente. Alors il y a des jolies filles qui font des œillades à Percevan et vice-versa. Mais c'est la vie, non ? Le problème serait de donner une sexualité à Kervin qui est un personnage beaucoup plus burlesque et à qui l'on ne peut destiner à priori que des cuisinières plantureuses. Il y a parfois un décalage de genre entre ces deux personnages et peut-être faudra-t-il que j'homogénéise tout cela à l'avenir ?
La série a en tout cas clairement évolué vers un style plus sombre au fil des albums.
C'est vrai, le ton était plus humoristique au départ. C'est sans doute du au choix des scénarios. Mais Kervin et Polémic continuent à offrir des respirations très « gaguesques » au milieu d'aventures parfois sérieuses.
Cocktail que vous utilisez encore dans la nouveauté ?
Tout à fait. L’épisode se passe presque entièrement dans l’obscurité puisque la nuit est tombée sur le monde. Grâce à nos personnages comiques, nous allégeons cette gravité ambiante. L’apocalypse, c’est sérieux… Il était donc indispensable de faire apparaître Kervin et Polémic sinon nous risquions de tomber dans la sinistrose.
Que vous inspire cette fidélité de plus de vingt ans envers Percevan ?
23 Ans exactement… Cela m’inspire que le temps file à une allure folle. On relève un jour la tête et on s’aperçoit qu’on a pris vingt ans dans la figure…Quant à ce qui est de la fidélité, elle est liée au plaisir que je prends à dessiner ces albums. Et tant que les lecteurs témoigneront leur attachement au personnage, il n’y a pas de raison que j’interrompe l’aventure, je dirais presque notre aventure. Je crois même que le rythme de parution devrait être plus soutenu dans les prochaines années. Un épisode par an, ce serait pas mal.
C’est votre prochain défi ?
On peut dire ça comme ça. Et puis je n’ai pas renoncé à un vieux rêve qui serait d’adapter Percevan ou Sylvio en dessins animés. J’ai décidé de prendre le mors aux dents et de creuser l’idée. Ce serait pour moi l’aboutissement d’un vieux fantasme de dessinateur amoureux de dessins animés. Et puis, quel rêve de voir les personnages qu’on a créés, quitter la planche à dessin familiale pour aller vivre leur vie sur grand écran !
Ch. Et B. P. –Y.