Où le regard ne porte pas...
Amis de – presque – toujours, Olivier Pont et Georges Abolin proposeront en janvier le premier chapitre d’Où le regard ne porte pas… (dans la collection “Long Courrier” de Dargaud), fruit d’une longue amitié commencée quelque part dans le sud-est de la France sur les bancs de l’école.
Ils se sont rencontrés au CM2, à Saint-Laurent du Var. Le courant est tout de suite passé entre eux, réunis par une passion commune, le dessin et l’envie un jour ou l’autre de trouver d’autres supports que leurs marges de cahier pour s’exprimer… “J’essayais de faire de la bande dessinée, lui aussi, mais à l’époque on ne songeait pas encore en faire notre métier, explique Georges Abolin.
À 15 ans, on gribouillait de plus en plus, et l’envie de faire du dessin animé s’est alors imposée. À 18 ans, le bac en poche, nous sommes partis à Paris pour l’École des Gobelins pendant deux ans”. Les Gobelins sont au dessin – pour résumer – ce que HEC est au commerce : une référence pour ceux qui rêvent de travailler dans l’animation, la BD, les jeux vidéo, etc.
Toujours portés par leur passion, ils traversent le channel et se rendent à Londres afin de rejoindre l’équipe du studio Universal sur deux longs métrages1. “C’est au bout de trois ans de vie anglaise que nos chemins se sont légèrement séparés. Georges part aux studios Disney, en Australie et, de mon côté, je gagne le concours BD organisé par la FNAC. Parmi les membres du jury figure Guy Delcourt qui me suggère de réfléchir à un projet”, raconte Olivier Pont.
Et devinez vers qui se tourne celui-ci ?… Ils cogitent ensemble et présentent, parallèlement à l’animation un projet intitulé Kucek qui verra le jour… chez Vents d’Ouest. Olivier Pont : “Delcourt a finalement refusé notre projet qui ne rentrait pas dans sa ligne éditoriale… C’est à ce moment-là que j’ai croisé Laurent Galmot qui travaillait notamment pour Vents d’Ouest, et nous voilà partis à signer plusieurs albums chez cet éditeur.”
Parallèlement à Kucek, Olivier dessine Arthur et les pirates, scénarisé par Arthur – mais oui, l’animateur radio et télé bien connu… – et La Honte 1 et 2 avec Jim. “Un vrai mercenaire ! s’amuse Georges Abolin, mais je touche aussi à l’humour avec Totale Maîtrise2 que je dessine et que nous scénarisons ensemble.” Souhaitant développer également des récits plus profonds, les deux comparses s’attaquent alors à un projet plus ambitieux : Où le regard ne porte pas…
Olivier Pont : “J’avais envie d’échapper à la contrainte du 46 pages et de prendre le temps dans la narration, de m’attarder sur les personnages, leur histoire, le décor, etc. Un long-métrage en quelque sorte, sans contrainte de pagination”. Et, de fait, cette histoire fera 184 pages. Initialement présenté chez Vents d’Ouest puis aux feues éditions Le Téméraire, Où le regard ne porte pas…3 trouve refuge dans la collection “Long Courrier” de Dargaud qui répond le mieux à la problématique de pagination et à l’esprit ambitieux de ce diptyque.
Une autre initiative est à mettre à l’actif des auteurs qui proposeront, six mois seulement après la sortie du premier volume, la suite – et fin – de l’histoire. “Nous pensons vraiment aux lecteurs qui n’auront, ainsi, pas à attendre une année ou plus la conclusion de ce récit. Le deuxième album est déjà entièrement dessiné !”, précise Olivier qui a signé le dessin et coscénarisé l’histoire.
“C’est vraiment son projet plus que le mien, explique Georges Abolin. Il s’est impliqué là-dedans pendant près de six ans, il faut imaginer l’énergie que cela représente pour un auteur de passer autant de temps avec ses personnages !” Il est vrai qu’Olivier Pont a fignolé chaque détail sans tomber dans le piège de la surcharge graphique, a mûrement réfléchi le découpage – quitte à refaire des planches entières, notamment du tome 2 – et a suivi chaque étape de la conception du livre, jusqu’à la composition volontairement très épurée de la couverture.
Et l’histoire ?.… Elle débute dans un village italien au bord de la Méditerranée, au début du xixe siècle. Un village de pêcheurs dont la quiétude est troublée par l’arrivée d’un couple et de leur fils, William, venus de Londres (tiens, tiens). Olivier Pont : “Nous sommes partis d’une intrigue assez terre à terre pour dévier ensuite vers quelque chose de plus mystérieux avec le souci toujours présent d’essayer de rendre attachants nos personnages.
Il était pour nous intéressant d’introduire la dramaturgie par le biais de quatre enfants qui ne savent pas encore qu’ils sont réunis par un lien indéfectible. Leur jeunesse c’est l’insouciance face à la vie.” La passion pour l’inutile, disait Jean Giono, la mer et la terre, la vie. La chronique suit son cours jusqu’à ce premier coup de théâtre, dramatique, qui clôt la première partie.
“Comme chez beaucoup d’autres auteurs, les récits liés à l’enfance sont souvent touchants parce qu’ils parlent de découvertes, de premières fois par lesquelles nous sommes les uns et les autres forcément passés, ajoute Olivier Pont. Et puis c’est un âge propice aux amitiés durables.” À l’écouter et à le lire, on veut bien le croire : Où le regard ne porte pas… est un récit poignant, une histoire qui laisse une inexplicable mélancolie, un sentiment troublant. La légère pointe fantastique ajoute à cette “délicieuse confusion”, cet état de grâce qui ne se produit que trop rarement. “Même s’il n’est jamais facile de citer ses influences conscientes ou pas, conclut Olivier Pont, on peut citer en vrac Miyasaki, Pagnol ou Loisel, des romans comme Laura Brams de Patrick Cauvin ou Sous les soleils de Bertrand Visage et des films comme Mediterraneo, Le Facteur ou Zorba le Grec.”
Et comment ne pas parler des couleurs de Jean-Jacques Chagnaud qui a su donner ce ton cristallin à la grande bleue, cette lumière aux paysages méditerranéens, bref qui a su apporter la touche finale. Quant au titre, énigmatique, la réponse viendra – bientôt ! – dans l’épilogue du deuxième album, concluant ce récit plein de sensibilité.
François Le Bescond
1. Fievel au farwest et Les 4 dinosaures et le cirque magique.
2. Dont le tome 2 sort en ce début d’année.
3. Qui sera finalement découpé en deux volumes de 92 pages.