"A mon compagnon de voyage", la profession de foi de Miguel, adressée à ses lecteurs.

Par l'équipe Dargaud



Cher Lecteur,



Si je vous écris cette lettre, c’est parce que l’album que vous allez lire en quelques minutes m’a pris une année tout entière à dessiner. De longues heures de travail durant lesquelles j’ai beaucoup songé à votre réaction. Qui sait, j’arriverai à vous convaincre de donner une petite poignée de minutes supplémentaires à ce deuxième tome de Myrkos. Vous savez, il existe des dessinateurs qui font des albums comme les chats font des chatons. Je suis toujours très admiratif de ces gens qui parviennent à dessiner vite et à mettre toutes leurs idées sur le papier. Vous me répondrez peut-être que toutes les idées ne valent pas le coup d’être transformées en album de BD. Je suis d’accord, mais c’est mieux de faire que de ne pas faire. Personnellement, je me sens comme l’éléphant de la planche 45 (NON ! N’allez pas le regarder tout de suite ! On ne commence pas un bouquin par la fin !) qui n’a qu’un seul petit après une longue et pénible gestation. Myrkos c’est exactement cela, un rejeton qui prend beaucoup de temps et d’énergie à être formé. Je dois vous le confesser : je suis arrivé à la fin complètement épuisé.



Donc je voulais partager avec vous (j’adore le mot « partage », qu’est-ce que l’art sinon le partage ?) un peu de cette aventure. La chose que je me demande toujours c’est : « Est-ce que ça vaut le coup de mettre tous ces petits détails qui n’ont rien à voir avec le récit et que probablement personne ne regardera !?» Oui ? Vous croyez ? Alors, quand vous arriverez à la case 3 de la planche 15, vous découvrirez, je l’espère, un personnage qui a l’air d’une laitière avec la tête couverte par une espèce de panier et, notez-le bien, une petite cornette à la bouche. Si je vous dis que ce n’est pas une laitière, est-ce que cela change quelque chose pour vous ? Je n’en suis pas sûr. En tout cas, cette femme de la planche 15 est une vendeuse de filtres magiques et de venins. D’un côté, elle porte une amphore de « tu seras à moi » et de l’autre côté une amphore d’ « au revoir chéri », des potions magiques très puissantes si l’on en croit le peuple d’Anétha (voilà que je commence à parler comme si je rentrais d’un week-end là-bas !). Comme ces histoires de cœur sont très capricieuses, les vendeuses de filtres préservent leur identité et même leur voix. C’est ce qui explique le panier et la cornette. Suis-je fou ?



De toute façon, je fais ce genre de chose pour trois raisons. La première, c’est le texte de Jean-Charles (Kraehn). J’aborde Myrkos un peu comme vous, en tant que simple lecteur. Jean-Charles me livre des lots de 15 ou 20 planches de scénario à la fois (n’oublions pas qu’il fait pas mal d’autre choses à côté), ce qui laisse une ombre de mystère planer sur la suite. Et quel bonheur de lire le scénario de Jean-Charles ! Parfois je ris de bon cœur, parfois j’ai envie de pleurer. Il nous fait passer d’un état à l’autre avec une telle fluidité et une telle maîtrise qu’on pourrait imaginer facile la tâche du dessinateur, et d’une certaine façon, c’est vrai. Sacré piège ! Car si le scénario de Myrkos est très bien écrit, son intensité sollicite néanmoins toutes mes ressources techniques, intellectuelles, émotionnelles et je dirais même spirituelles (oui, je crois !).



La deuxième raison qui me pousse à fournir autant de travail en imaginant des détails comme la « vendeuse de singes-souris grillés » (celle-là, c’est à vous de la trouver !), c’est que je cherche des compagnons de voyage. Depuis mon jeune âge, je rêve de voyager. J’ai même imaginé un « tour du monde à cheval » (avec l’arrivé de mon fils, j’ai dû commuté ce projet à une petite randonnée Paris-Kazakhstan, mais ça reste encore à faire). D’une certaine façon, je me sens comme un agent de voyage ou plutôt, c’est plus juste, comme un écrivain du Guide du routard. Voilà que j’essaye de vous promener dans les endroits les plus pittoresques et intéressants d’Anétha, de vous faire découvrir ses recoins cachés. Je dirais que mes dessins sont autant les illustrations des rêves de voyages à faire que des souvenirs de voyages passés, qu’ils soient dans le temps ou dans l’espace. Pour cette visite non guidée, je compte aussi sur le talent de Patricia Jambers, notre coloriste, qui a pris Myrkos à cœur, littéralement. En ce sens, il y a des moments dans cet album où je peux presque sentir l’odeur de fleurs inconnues, des lourds encens et écouter le bruit de la foule ou des animaux comme on ne peut l’entendre que dans la grande ville d’Anétha ! (Ok, je l’avoue, je viens de rentrer d’un week-end là-bas !) Myrkos est donc une espèce de fenêtre ouverte sur mes rêves, oui, je conçois beaucoup de cases comme des fenêtres ouvertes sur un autre monde. J’aime diluer l’objet de la narration dans une myriade d’éléments « secondaires » exactement comme quelqu’un qui regarde un ami marcher dans la rue par la fenêtre de son appartement.



Troisièmement, ce qui me force à autant suer, c’est le profond respect que j’ai pour vous, pas le public, mais vous, mon compagnon de voyage. Vous qui avez décidé de partager ce chemin, cette lointaine aventure. Parfois quand je dessine telle ou telle scène, j’imagine vos commentaires, votre surprise ou votre amusement. Et ça me rempli le cœur de joie parce que je ne suis pas seul, nous sommes déjà deux à parcourir cet étrange et merveilleux monde de Myrkos.



Pardonnez-moi d’être trop expansif mais ça me touche, vraiment. Bon voyage.



Miguel.

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