Moi, Cléopâtre, dernière reine d'Égypte

Assise sur un rocher à côté de son petit singe, Cléopâtre contemple la baie d’Alexandrie qui s’étale sous ses yeux. Ses palais et le célèbre phare, l’une des merveilles du monde antique, ont disparu. Les vagues qui viennent lécher le front de mer déposent au pied des grands immeubles des déchets de plastique. Nous sommes au XXI^e siècle.
 

L’Égypte n’est plus qu’un souvenir vague et merveilleux, nimbé de légende. Et de la dernière reine d’Égypte, on n’a retenu que le nez aquilin, la mort tragique et les charmes vénéneux qui ont envoûté César et Marc Antoine.

Alors que le soleil se lève sur ce qui fut son royaume, elle commence à raconter sa vie, celle d’une femme érudite, sensible, stratège, qui dut toujours lutter pour s’affirmer dans un monde d’hommes…

Une biographie passionnante et drôle, loin des clichés

Peu de femmes de l’Antiquité sont aussi célèbres que Cléopâtre. Plus encore que les historiens qui, depuis Suétone et Plutarque, se sont intéressés à son rôle dans les relations entre la vieille Égypte hellénisée et la jeune puissance romaine, elle a fasciné les artistes au long des siècles.

De Shakespeare à Goscinny et Uderzo, en passant par le réalisateur Joseph Mankiewicz qui lui donna les traits d’Elizabeth Taylor, et jusqu’à Blaise Pascal, qui rendit proverbiale la beauté d’un nez qui « s’il eût été plus court toute la face de la terre aurait changé », on ne compte plus les œuvres qui firent d’elle une légende.
Mais de la vraie reine d'Egypte, Kleopatra VII Philopator, on ne sait pas grand-chose. Avec Moi, Cléopâtre, dernière reine d’Égypte, Isabelle Dethan lui donne enfin la parole et l’occasion de raconter ce que fut son existence, loin des clichés ! 

Avec son dessin élégant et ses couleurs généreuses et douces, dans un récit ample et limpide, fourmillant de détails mais aussi de rebondissements et d’humour, elle nous propose le portrait subtil et touchant d’une femme libre !

Entretien avec Isabelle Dethan

Comment est née votre passion pour l’Égypte antique ?

Un peu par hasard à vrai dire, même si elle remonte à loin. Au départ, ce qui m’intéressait, c’était l’Histoire en général, sans période de prédilection particulière. Mais quand j’ai voulu imaginer une série historique qui mettrait en scène une héroïne et qui serait un peu crédible, j’ai réalisé que peu de civilisations dans l’Histoire avait accordé une aussi grande place aux femmes que celle de l’Égypte et c’est ainsi qu’est né le projet des Terres d'Horus.
À partir de là, l’accumulation de documentation et surtout mes rencontres avec des égyptologues ont fait naître en moi une vraie passion. Ce qui est extraordinaire avec l’Égypte antique, c’est que c’est une histoire pleine de dynasties, de révoltes, de grands personnages, et qui s’étale sur 3 000 ans.

C’est aussi une civilisation qui alimente beaucoup de fantasmes…

I. D. : Bien sûr ! Depuis Napoléon et Champollion, l’Égypte fascine et nourrit les imaginations. L’aspect esthétique explique d’ailleurs en grande partie cette fascination, que l’on songe à la beauté des vestiges archéologiques ou à celle des hiéroglyphes. Je ne suis pas imperméable à ce fantasme qui imprègne forcément aussi ma vision et mes représentations. Mais j’essaie de faire la part des choses. Avec Cléopâtre, c’était même au cœur de mon travail, car s’il y a une personne qui porte sur ses épaules des siècles de fantasmes, c’est bien elle !

Comment démêler le vrai de la légende dans la vie de la reine d’Égypte ?

I.D. : D’abord, il faut bien comprendre que nos principales sources écrites sont les récits des historiens romains qui se sont intéressés principalement à ses relations avec César et Marc Antoine et ont forgé cette figure assez négative de femme fatale qui a occulté tous les autres aspects de son existence.
C’était un travail de propagande en quelque sorte. Heureusement, les travaux récents des historiens nous permettent d’avoir une vision plus juste.
Je me suis surtout inspirée du livre Cléopâtre, un rêve de puissance, de Maurice Sartre, qui remet bien les pendules à l’heure.

C’est-à-dire ?

I.D. : Que loin d’être une séductrice alanguie sur des coussins dans une robe à moitié transparente, ou un personnage tragique et grandiloquent, Cléopâtre était d’abord une femme politique, intelligente, cultivée, qui parlait plusieurs langues et était bien aux prises avec le monde qui l’entourait. Et qu’elle était aussi par ailleurs, une mère de quatre enfants, une femme de son temps, qui a eu des désirs, de l’humour, des enthousiasmes, et une vie quotidienne…

Mais comment savoir tout cela ? Et comment le raconter ?

I.D. : Évidemment, il y a une part de reconstitution. La biographie de Cléopâtre est pleine de trous, de zones d’ombre. On ne sait même pas avec certitude quand elle est née, ni qui était sa mère. J’ai pris des partis pour combler ces vides et construire un récit qui se lit comme une histoire. Mon album n’est donc pas une bande dessinée documentaire, même si je reste aussi proche que possible de la réalité, non seulement pour les dates, les personnages, les lieux, mais aussi pour les mille détails du quotidien que sont le mobilier, les vêtements, les rites…

On ressent dans votre album le plaisir que vous avez pris à dessiner...

I.D. : Oui, j’aime dessiner ces petites choses avec rigueur. Et j’ai aussi adoré situer certaines scènes dans des décors que j’ai visité et qui m’ont éblouis, les catacombes d’Alexandrie, par exemple, ou bien la baie et son ciel si bleu. Je conçois toujours mes dessins en couleurs, et j’ai expérimenté avec mes encres des choses nouvelles pour essayer de reproduire les lumières de l’Égypte qui ne cessent de me fasciner.

Bonne lecture !