Les mots d'Hubert
Scénariste du récent et délicieux Miss pas touche (dessin de Kerascoët) et coloriste, Hubert signera en septembre un one-shot dans la collection « Poisson Pilote » intitulé La Sirène des pompiers. Un album d’une grande sensibilité qui met en scène un peintre raté qui retrouve l’inspiration au contact d’une sirène… L’occasion aussi de découvrir le talent de Fred Zanzim, le dessinateur, considéré par Frank Mignola comme l’un des meilleurs dessinateurs ! En attendant nous avons proposé à Hubert une liste de mots…
Zanzim
Fred Zanzim est le premier dessinateur avec lequel j’ai collaboré et signé, même si Le Legs de l’alchimiste (avec Tanquerelle chez Glénat) est sorti avant Les Yeux verts (Carabas). On a fait les beaux-arts d’Angers ensemble, mais on ne s’y est jamais rencontré (il était en communication alors que j’étais en art). Puis on s’est vaguement croisé à des fêtes. C’est finalement des amis communs qui nous ont mis en contact, en 1999.
J’écrivais des scénarios et je ne trouvais pas de dessinateur, lui était illustrateur dans la com et voulait faire de la bande dessinée. On s’est vu, je lui est raconté l’histoire qui allait devenir Les Yeux Verts, ça lui a plu, et voilà. Depuis, on est devenus amis, même si on ne se voit pas assez car il habite avec sa petite famille aux environs de Rennes et moi à Paris.
Zanzim pratique l’art du décalage au plus haut niveau. D’une scène assez banale il fait quelque chose d’étrange, il rend les choses poreuses, flottantes. Il y a un côté Chirico dans son dessin et sa façon d’aborder la narration, une fausse naïveté très savante. Au fil des albums, on a créé un petit univers à nous, teinté d’absurde, et qui est à la rencontre entre mon univers qui est assez noir, avec de forts relents « gothiques » et le sien qui est beaucoup plus acidulé, plus « pop ». On travaille en totale confiance ensemble, je sais que même s’il tire les histoires que j’écris pour lui dans des directions qui sont totalement inattendues pour moi, le résultat sera supérieur à ce que j’avais imaginé, plus étrange plus poétique. À chaque fois, je lui prépare des tonnes de documentations historiques sur les bâtiments, les costumes, il les regarde et s’empresse de les oublier pour mieux réinventer les choses, les recréer à sa façon. Le seul reproche que j’ai à lui faire, c’est sa lenteur (c’est un perfectionniste) alors que j’ai une multitude de projets que j’ai envie de faire avec lui ! Mais le résultat en vaut la peine.
Mike Mignola
Une très belle non-rencontre. C’est un auteur dont j’aime énormément le travail. Je suis amoureux de son dessin. La grande classe ! C’était sans doute mon influence principale quand j’écrivais le premier Legs de l’alchimiste.
Quand on présentait le dossier de La Sirène, j’ai eu Thomas, son éditeur chez Delcourt, au bout du fil. Il m’a dit que ça tombait bien que je l’appelle, parce qu’il avait une dédicace à nous demander, à Zanzim et moi, sur Les Yeux verts. Pour Mike Mignola. J’ai failli tomber de ma chaise !
Jamais je n’aurais imaginé qu’il puisse avoir entendu parler notre série déjà fort peu connue en France, et encore moins s’y intéresser. Donc nous lui avons envoyé deux albums dédicacés, et plus de nouvelles. Arrive Angoulême dernier où nous n’étions pas parce que nous n’avions pas d’actualité. Marie Kerascoët m’appelle le samedi pour me dire de sauter dans le premier train : Mike Mignola, dans une interview pour 20 minutes avait déclaré qu’il souhaitait nous rencontrer lors du festival et que Les Yeux verts était sa série préférée du moment. Re-« tombage de chaise ». Mais c’était un peu tard pour débarquer, le festival touchait à sa fin, donc nous ne l’avons pas rencontré. Mais nous avons depuis échangé des mails en se promettant de se voir s’il revient en France.
Avec Zanzim, on n’était pas peu fiers, et même si Les Yeux Verts est passé quasi inaperçu hormis d’une poignée de lecteurs fidèles, ça nous motive pour la suite : on fera le tome 3, même si Mignola est (presque) notre unique lecteur !
Tueur des guinguettes
Avec Miss Pas Touche, c’est la première fois que j’écris un polar, et c’est loin d’être un exercice facile : c’est un véritable casse-tête chinois, surtout en bande dessinée où l’on ne peut se répandre comme dans un roman. Si bien que chaque case, chaque phrase compte.
C’est à s’arracher les cheveux ! Mais c’était une volonté avec Marie et Sébastien de s’attaquer vraiment au genre polar, et de ne pas contourner la difficulté. On verra à la fin si on a gagné notre pari. C’est malgré tout un polar un peu tordu, un peu mutant parce que si les Kerascoët sont de vrais lecteurs de polar, mes goûts me portent plus vers Perutz, Borges ou Gombrowicz (Chaos était un des livres que j’avais à l’esprit en écrivant, étrange histoire de personnages qui commencent à voir des indices partout, même si au final Miss Pas touche n’a rien à voir ! ). Même si l’énigme policière est importante, le tueur n’est que le fil rouge qui permet de déplacer le personnage d’un milieu à un autre, de le faire évoluer au gré de l’enquête : la logique du polar est un biais formidable pour faire découvrir un milieu comme celui des grands bordels parisiens des années 30, qui est un univers à multiples facettes, celle du clinquant, du glamour, comme celle, sordide, de la condition des filles qui y travaillaient et qui, même si elles étaient protégées par rapport à celles qui étaient sur le trottoir ou dans les claques infâmes, finissaient l’âge venant de façon sordide. Il était nécessaire de raconter le récit depuis un point de vue féminin pour éviter toute complaisance, tout le côté « sympa » qu’on a souvent dans les évocations de ce milieu, qui se mettent du point de vue du client. C’est d’ailleurs très difficile de trouver des témoignages féminins sur le sujet, les confidences des filles ont rarement été recueillies, contrairement à celles des hommes qui les fréquentaient, et dont on a pléthore.
Ça a d’ailleurs été ma grande surprise quand j’ai commencé à faire des recherches sur le sujet : j’arrivais avec tous les clichés qui ont été véhiculés par le cinéma : la gouaille, le côté famille, etc., pour finalement découvrir un univers terriblement dur et violent, très codifié, aux règles quasi byzantines, très violent vis-à-vis des femmes qui étaient traitées comme des marchandises jetables, et qui n’avaient très peu de possibilités d’en sortir une fois qu’elles y avaient mis les pieds, stigmatisées, coupées du monde non seulement par la réprobation sociale, mais aussi par la loi qui faisaient d’elles des sous-individus, des parias. Le sujet est d’autant plus intéressant en ce moment où on entend certaines voix s’élever pour la réouverture des maisons closes.
Sirène
C’est un projet qui a mûri pendant très longtemps. Il y a environ six ans entre la première version qui faisait six planches, et l’actuelle de soixante-deux. Il y a dedans énormément d’éléments autobiographiques qui ont nourri le récit, aussi bien sentimentaux qu’en rapport avec l’art. J’avais une trame générale à l’esprit, et j’ai commencé à l’écrire au début d’une histoire d’amour, ce qui correspond au début du récit, et j’ai terminé au moment où elle se finissait, comme à la fin de l’histoire. Si bien que j’étais exactement dans les sentiments que je décrivais, l’engouement, la naïveté, le côté fleur bleue, et puis les désillusions. C’est une sorte d’autobiographie cryptée, fantasmatique, même si tous les éléments ont été triturés, déformés, attribués à l’un ou l’autre personnage... Mais je pense que c’est le cas de beaucoup de fictions.
S’il y a un côté fantastique dans le postulat de base (une sirène qui monte à la capitale et devient modèle d’un peintre pompier), ce qui m’intéressait, c’est que ça passe très vite au second plan pour que ça devienne un portrait de femme, qu’on suive son itinéraire, son mûrissement, qu’on la voit grandir et s’affirmer. Qu’elle ait une queue de poisson est finalement très secondaire, ce qui est important, c’est le statut à part que cela induit dans ses relations, cette différence qu’elle choisit de montrer ou de cacher selon les circonstances. Mais je tenais à ce que tout cela garde un côté très vaudeville qui correspond bien à l’esprit de l’époque.
Atelier du Coin
C’est le lieu où je travaille, (du moins pour la couleur, car le scénario, c’est à la maison) et un peu plus que ça, c’est un groupe de copains, un lieu où nous faisons de grandes fêtes où on invite une centaine de personnes et ça danse jusqu’à l’aube ! C’est aussi un lieu de rencontre, sans l’Atelier je n’aurai jamais rencontré Marie et Sébastien, David B., Benjamin Bachelier... Quand j’ai commencé, à Nantes, je travaillais seul, mais quand je suis arrivé à Paris, c’est rapidement devenu insupportable, j’avais l’impression d’être un ermite.
On a fondé l’Atelier il y a trois ans à l’initiative de Gwen de Bonneval et de Matthieu Bonhomme. Il y a aussi Stéphane Oiry, Nicolas Hubesch, Charlie Jouvet, qui est graphiste et photographe, et depuis peu, Marie Caillou, qui fait de l’illustration et du dessin animé et a remplacé Dorothée de Monfreid. On est heureusement pas tous dans la bande dessinée, ça permet de garder une certaine ouverture.
À la fondation de l’Atelier, certains membres qui avaient déjà eu des expérience dans la presse jeunesse ont lancé l’idée d’un magazine de bande dessinée destiné au jeune public, qui est devenu Capsule cosmique, chez Milan. Ils ont vraiment réussi à faire quelque chose de bien, plein d’idées et de talents, effervescent, qui tranche dans le paysage actuel de la presse pour la jeunesse. Je trouve ça d’autant plus rageant de voir ce magazine qui était en plein essor s’arrêter aujourd’hui parce que la nouvelle direction de Milan ne comprend rien à la bande dessinée (c’est en tout cas mon opinion). C’est vraiment du gâchis !
Gustave Gélinet
C’est l’autre aspect de La Sirène des pompiers, qui se situe dans le domaine de la peinture officielle de la fin du XIXesiècle. La sirène est le modèle de Gustave Gélinet, peintre médiocre et sans imagination qui connaît la gloire grâce à elle et à son charme. Gustave est baigné dans l’illusion de sa propre grandeur, la gloire l’a totalement enivré. Il est facile de perdre ses repères et de se croire plus grand qu’on est, même une micro-notoriété peut suffire, être la star de son quartier, de son village. Gustave, c’est tout ce que j’espère ne jamais devenir, même si on a (presque) tous un côté comme ça, moi le premier ! Puissent mes amis m’abattre avant !
J’avais envie de traiter de l’art officiel : on parle souvent des héroïques pionniers, des visionnaires et révolutionnaires, impressionnistes, Nabis, cubistes, fauvistes et autres surréalistes, mais l’autre versant, qui est finalement celui de l’art majoritaire, est beaucoup moins évoqué. C’est aussi lié à mes études aux beaux-arts, où j’ai fini par penser qu’une grande part de l’art contemporain, avec son langage, ses codes, son côté terriblement autoréférenciel était un nouvel académisme, une forme d’art de plus en plus purement formaliste et coupée de la vie, de ses racines : on voit des œuvres qui font références à d’autres œuvres qui quelques fois n’ont pas dix ans, si bien que si on n’a pas suivi de façon pointue l’évolution ça paraît totalement hermétique, ça devient un jeu pour une poignée d’initiés pour lesquels c’est forcément très autovalorisant. Je pense, par exemple, au travail d’un Bertrand Lavier, que depuis mes études j’ai toujours trouvé ennuyeux à mourir, jusqu’à ce que je l’entende expliquer sa démarche à la radio. Et en fait son travail est brillant, très drôle, très ironique. Mais s’il faut un code d’accès, une grille de lecture et que l’œuvre ne se suffit pas à elle-même et nécessite un sous-titre, je trouve cela regrettable. Après, il y a heureusement toujours des artistes qui parviennent à créer des oeuvres puissantes, qui communiquent une émotion puissante au-delà de toute référence, de toute connaissance préalable requise, comme Bill Viola ou James Turrel. Mais je crois que ce qui est terrible, c’est qu’on peut être un pompier sans le savoir, en étant parfaitement honnête et sincère.
Zanzim a peint beaucoup de toiles de Gélinet pour le projet, et notre éditeur nous a proposé de les regrouper à la fin dans un cahier graphique, qui sera un mini-catalogue de l’œuvre de Gustave Gélinet. Ça a été très drôle à faire, j’ai écrit des faux articles de critiques...Au final, ça donne un sentiment de réalité assez amusant, comme si Gustave avait réellement existé.
Kerascoët
Ça a commencé par un hasard improbable : je les ai rencontrés par Guy et Priska, de Costume 3 pièces, leurs agents pour l’illustration et amis, il y a trois ans environ. On s’était retrouvés à manger ensemble à cause de connaissances communes, j’étais assis à table à côté de Guy, qui me demande ce que je fais, je lui parle du Legs, persuadé qu’il n’en avait jamais entendu parler, et là, il me dit que si : il a fait ses études en même temps qu’Hervé Tanquerelle, à Lyon ! Il m’a proposé de passer à leur agence pour me montrer le travail d’illustrateurs qui souhaitaient faire de la bande dessinée. C’est comme ça que je me suis retrouvé avec un carnet de dessin de Marie entre les mains, et j’ai tout de suite voulu les rencontrer. J’avais un scénario déjà écrit, Guy et Priska l’on remis à Marie et Sébastien, on s’est vus, on a sympathisé et on a commencé à travailler sur le projet en question dans la foulée, qui a été présenté aux maisons d’éditions... et
qui a fait un flop. L’histoire était trop compliquée, la narration pas en place...
Mais, comme nous étions devenus amis et que nous avions toujours envie de travailler ensemble, nous nous sommes mis autour d’une table et nous avons commencé à discuter de nos envies respectives, ce que nous aurions dû faire dès le début ! Marie avait envie de dessiner des filles dans des lits, Sébastien voulait faire un polar, ce à quoi j’avais toujours eu envie de me frotter. J’avais dans mes carnets un embryon d’histoire avec deux personnages qui sont devenus Miss Pas Touche et Miss Jo, même s’ils ont bien changés entre-temps, qui se passait dans le milieu de la nuit et de la prostitution, mais sous le Second Empire, Marie et Sébastien venaient d’aller voir une exposition sur les maisons closes au musée de l’Érotisme. Comme ils ne voulaient pas que ça se passe au XIXe siècle, nous avons choisi les années 30, qui est une époque visuellement assez intemporelle et qui correspond à la deuxième apogée des grands claques parisiens, celle du One two two, du Sphinx. Voila comment est né Miss Pas Touche. Entre-temps, pendant que nous mûrissions le projet, ils ont été travailler sur le dessin animée Petit Vampire, puis Joann Sfar leur à proposé de reprendre Donjon Crépuscule, si bien qu’ils ont entamé La Vierge du bordel avec une maturité graphique et narrative qu’ils n’avaient pas sur notre premier projet. Quand on travaille ensemble, c’est très ludique, on commence à lancer des idées dans tous les sens « et si il se passait ça.. », on rebondit, ça tourne souvent au gore farfelu. Ils s’investissent énormément dans le processus d’écriture, quand j’ai un problème dans l’histoire, j’arrive avec mes idées de solutions, on en discute, on retourne le problème en tous sens... On a ensemble une façon de travailler qui n’est pas cloisonnée, où il n’y a pas le scénariste qui fait son travail de son côté et les dessinateurs du leur. C’est aussi leur façon de travailler ensemble.
Ils sont très complémentaires : Tels que je les perçois, Marie est une intuitive alors que Sébastien est quelqu’un de très analytique, qui dissèque les choses et les intellectualise. C’est l’équipe parfaite. C’est très étrange de les voir travailler, parce que les choses passent de l’un à l’autre sans discontinu, l’un revient sur ce qu’à fait l’autre et inversement, et au final il est impossible de savoir qui a fait quoi, même si à la base, Marie s’occupe plus de la création des personnages et que la mise en espace est plus du ressort de Sébastien, mais après très rapidement, tout se mélange.
Saint-Renan
Petite ville du nord Finistère, à proximité de Brest, réputée pour son célèbre Kig-a-farz, plat étonnant et roboratif... C’est là d’où je viens, il y aurait beaucoup à en dire... Pour faire simple, je dissocierai deux aspects principaux : d’un côté la Bretagne, qui est une région à laquelle je reste attaché même si je n’y vis plus depuis quinze ans, même si je ne me considère pas comme ayant une identité bretonne à proprement parler. Ma mère, dont la langue maternelle était le Breton, a fait le choix de nous élever purement dans la langue française pour avoir souffert dans sa jeunesse des brimades exercées, notamment à l’école, à l’encontre de ceux qui parlaient breton. Si bien que c’est plutôt une identité par le manque que j’ai cherché à combler à un moment donné en faisant des recherches sur l’histoire de la Bretagne, après m’être rendu compte que l’histoire enseignée sur la période du Duché de Bretagne était pour le moins orientée, déformée comme la célèbre image d’Anne de Bretagne, la Duchesse en sabot, la pauvresse qui aurait du être bien contente d’épouser le « magnificent » roi de France ! La bonne blague ! Tout cela peut paraître futile et assez incompréhensible de l’extérieur, mais être baigné sans cesse dans une image négative de ses origines, de son histoire, n’est pas anodin. La manipulation historique a toujours été un outil pour les gouvernements, (comme on le voit en ce moment avec l’affaire hallucinante du « rôle positif du colonialisme »). Mais j’ai maintenant un rapport plus distancié à tout ça. L’autre côté, Saint-Renan même, petite ville pour laquelle j’ai des sentiments pour le moins... mitigés. J’ai commencé à la détester à partir de mon adolescence, c’est exactement le genre de petite bourgade étouffante où tout le monde se connaît, avec ses cancans, ses ragots, son hypocrisie, son conservatisme... Et en plus, ce n’est même pas au bord de la mer ! Il y a une chanson de Lou Reed, Small town, qui dit que ce qui est bien quand on est né dans une petite ville, c’est qu’on fera tout pour en partir. Donc, à 18 ans, j’ai profité de mes études pour décamper, et j’ai trouvé refuges dans les villes. J’y retourne parce que mes parents y vivent, mais pour rien au monde je ne reviendrais y vivre. Je n’ai absolument pas la nostalgie de la campagne, je suis un amoureux de villes. Mais parfois la mer me manque.
Couleur
J’ai commencé la couleur à peu près en même temps que l’écriture de scénarios, vers 1998. Venant des beaux-arts, option art en plus, (la formation la plus pointue pour devenir chômeur) quand j’ai décidé d’essayer de gagner ma vie, j’ai fait une formation de PAO pour devenir graphiste et j’ai travaillé un peu dans la communication et l’imprimerie, genre intérim.
Ce n’était pas vraiment le bonheur. C’est Yoann qui m’a conseillé d’essayer de me mettre à la couleur numérique, qui commençait à se répandre. On sortait tout juste des temps préhistorique où seuls une poignée de pionniers (notamment Lewis) tentaient de convaincre que l’on pouvait faire de la couleur par ordinateur, ça devenait (plus ou moins) un métier, Walter avait sorti ses premiers livres. On se posait des tas de questions sur la façon de faire, de préparer des fichiers pour l’impression, on faisait des tests, on plantait des bouquins... Maintenant les choses sont beaucoup plus cadrées. Toujours est-il que j’ai donc commencé, au début chez Delcourt sur des séries « grand public ». J’ai beaucoup appris au contact des dessinateurs avec lesquels j’ai travaillé, j’ai eu de belles collaborations, même si ce n’était pas forcément le type d’albums que je lisais et que je voulais écrire. Quand on débute, on a pas le choix de ses projets, mais je crois que j’ai eu de la chance. J’avais fait le choix de faire de la couleur pour gagner ma vie et d’écrire à côté mes histoires avec lesquelles je ne gagnais presque rien. Et petit à petit, j’ai rapproché les deux, d’abord avec Yoann (sur La Voleuse du Père Fauteuil), Gwen de Bonneval (Basile Bonjour) Hervé Tanquerelle (mais bon, j’étais le scénariste, alors il n’avait pas trop le choix !), puis Jason, Paul Gilon, et aujourd’hui David B, Tronchet, les Kerscoët, Zanzim... C’est très excitant d’être sur des projets avec lesquels on se sent en complète adéquations, de rentrer à l’intérieur du processus narratif d’un grand auteur. Personne ne connaît mieux le dessin d’un auteur que son coloriste, on finit par être presque dans sa tête.
Poisson Pilote
Je suis très heureux de rejoindre le label, qui compte beaucoup d’auteurs et d’albums que j’aime et admire. David B, Trondheim, Christophe Blain, Joann Sfar... C’est une école graphique et narrative dont je me sens proche, même si je ne sais pas si la réciproques est vraie ! Notre premier album avec Fred, Les Yeux verts, n’était pas passé loin de la porte, j’avais eu une longue conversation avec Guy Vidal qui disait qu’il l’aurait signé si ça n’avait tenu qu’à lui. Bien que le projet n’ai pas été retenu, il n’avait que de gentilles choses à dire. Mon plus beau refus ! Son avis nous avait encouragé à poursuivre, et finalement la série est sortie chez Carabas. Et voilà, nous revenons six ans plus tard.
François Le Bescond