Le bonjour de Victor !
Entré en bande dessinée par la case Focu (publié aux éditions Paquet), Diego Aranega débarque dans la collection « Poisson Pilote » en janvier avec une nouvelle série, Victor Lalouz. Comme Tintin, ce personnage joue au reporter-journaliste. Mais la comparaison s’arrête là : Victor Lalouz est au journalisme ce que le ver est à la pomme : une calamité, que dis-je, un fléau !
Victor Lalouz, c’est un peu le con qui ne doute pas de lui. Non ?
Comme le disait Bruce Lee, « Douter c’est prendre de la distance ». Victor n’est carrément pas capable de ça ! Il vit sa vie au ras du premier degré, d’ailleurs le second, il ne sait même pas ça existe.
Psychologiquement, son dossier est plus blindé que la salle des coffres de la banque de France, même son psy a du mal à s’y retrouver. Là-dessus, viennent se greffer deux ou trois carences au niveau affectif et culture générale, une histoire familiale un peu chargée ; cette bouillabaisse peut expliquer le sentiment de connerie qu’on ressent quand on le regarde agir, en revanche quand on s’attarde un peu, on comprend que Victor est vraiment plus complexe qu’un simple con de base sans options.
Con et moche : petit, à demi-chauve avec des lunettes et un sourire niais. Pourquoi tant de cruauté envers votre personnage ?!
Comme le disait Patrick Sébastien : « Tout n’est que question de perception. » Victor partage cette vision du monde, il voit le verre du côté à moitié plein, alors « demi-chauve », non : Victor se voit comme un « quasi-chevelu ». Quant au sourire niais, on réglera les comptes à la récré : quand je dessine, je me regarde toujours dans la glace. Bon, OK j’avoue, physiquement Victor n’entre pas dans les classifications prédéfinies des canons de la beauté, il est différent et ce n’est pas un hasard. Quand j’ai imaginé ses aventures, je voulais qu’il ne ressemble à aucun autre héros de BD (sans aucune prétention, attention hein), c’était ultra-important pour moi de situer mon héros dans une vraie marge, à son stade de différence, Victor ne pouvait que se positionner en mode « réactif » : pour s’en sortir, c’était soit le cirque, soit la notoriété.
Pis, on le sait, aujourd’hui avoir un physique différent c’est super pour se faire remarquer, c’est un plus, et entre nous (attention astuce BD-comique), une phrase sérieuse dite par un mec moche sera toujours plus percutante et drôle que la même phrase dite par un beau gosse.
Engagé « sur un malentendu » dans une radio, il est amené à parler aux auditeurs (auditrices, surtout). Et là, c’est incontrôlable…
Comme le disait Aziz du Loft 1 : « Oui, c’est clair. » La vie de Victor est effectivement une succession de quiproquos et de malentendus qui finissent toujours (par je ne sais quelle magie) à le conduire plus haut : quand Victor est engagé à la radio, c’est comme simple standardiste, le fait que les auditeurs se rendent compte qu’ils peuvent rire de lui à ses dépens sans qu’il percute y est pour beaucoup dans son ascension ! Quant à lui, il croit que son plébiscite général tient à la pertinence de ses interventions. Tout repose sur ce décalage.
Avouez-le, votre rêve aurait été de faire de l’animation sur une radio plutôt qu’auteur de BD, non ?
Comme le disait Philippe Bouvard en 1948 : « La radio et la BD sont deux univers super différents qui se recoupent certainement mais perso je ne vois pas trop où. » Effectivement, une carrière dans l’animation radio m’aurait bien plu, mais attention, je n’ai pas dit mon dernier mot : récemment le patron d’une grosse radio nationale m’a personnellement contacté pour me proposer une rubrique quotidienne dans une émission très très en vogue le temps de midi. Non, je déconne.
Focu était assez annonciateur de Victor Lalouz : un mélange d’humour parfois cruel et sans complaisance…
Les meilleures sont les plus courtes alors je vais arrêter de systématiquement faire mes citations en début de réponse. Pour en revenir à Focu et au reste de mon travail, oui, il y a de ça ! mais je ne suis jamais méchant. C’est juste que je construis mes personnages sur le squelette de leurs points faibles, c’est un bon moyen de leur donner la couche d’humanité requise pour les rendre ultra-touchants.
Pourquoi ce système de demi-planche – « format » qui a d’ailleurs remarquablement fait ses preuves avec Le Retour à la terre ?
Au-delà de l’hommage à Franquin (Lalouz/Lagaffe), le double-strip est un format super adapté aux gags (mon billet que ni Ferri ni Larcenet diraient le contraire – big-up à eux deux) : son avantage sur le simple strip est qu’il laisse le temps aux dialogues et aux silences de se développer.
Le « rythme » est évidemment plus soutenu que sur une planche complète, mais surtout on va à l’essentiel sans s’encombrer de ce qui n’est pas « obligatoire ». Moralité, en ce qui me concerne et pour gérer un personnage comme Victor Lalouz, la demi-planche c’est le juste équilibre de la forme par rapport au fond. Et n’oublions pas que c’est aussi une façon de mettre deux fois plus de vannes dans un album de 48 pages, ce qui ne gâte rien.
Victor continuera-t-il à faire de la radio par la suite ?
Dans son deuxième album, oui ! Ensuite, il sera peut-être propulsé dans d’autres univers, tout est possible avec lui. Victor est un fils du vent, il pourrait très bien vivre en caravane le long d’une autoroute si on lui disait que c’est là qu’il doit attendre son ascenseur social !
Quelle serait la devise de Victor ?
J’hésite entre « Born to win » et « Ch. JF expérimentée pour massages intimes-urgent pliz ».
Eric Gauvain