la nouvelle fiction devient réalité
Reality Show, le premier opus de Francisco Porcel (dessin) et Jean- David Morvan (scénario) chez Dargaud, n'est pas à proprement parler de la science-fiction, ni de la science-fantasy. Il faudra inventer un terme désignant la « réalité poussée dans ses derniers retranchements », dans la lignée de Minority Report ou du Futur antérieur de Ray Bradbury. "Il suffisait de regarder ce qui se passe aujourd'hui et de donner un petit coup de pouce à la réalité pour imaginer le monde de Reality Show", raconte Morvan. Des enquêtes policières menées aux heures de grande écoute, emmenant le spectateur (payant, le cochon !) à la suite d'un super-flic privé, Norton Barron, qui se met lui-même en scène.
Toute réalité devient spectacle : elle doit se fondre dans les exigences d'un show, l'influencer si les taux d'audience l'exigent. Il est évident que si la tendance s'approfondit dans les années à venir, Reality Show deviendra de la réalité tout court.
La force de ce premier volume (et de ceux qui suivront puisque le serial killer ne fait pas dans le show, mais plutôt dans la nature morte, et entend bien poursuivre ses activités) réside dans le subtil mélange des canons de la bande dessinée franco-belge et de la modernité des traditions graphiques espagnoles.
Porcel : "Depuis quelques années, la BD espagnole traverse une crise qui tient autant à la qualité du contenu, écrit et dessiné par des auteurs dont on exige une production à la limite du supportable, qu'à une certaine désaffection du lectorat, sollicité par de nouveaux médias (jeux vidéo, Internet, etc.) et perplexe devant la baisse de qualité générale de la BD. Et ce ne sont pas les quelques exceptions à ce tableau qui pourront inverser la tendance actuelle.
La chance des auteurs espagnols, c'est l'internationalisation du monde de l'édition. Aujourd'hui, un auteur espagnol, qui ne connaît pas un mot de français (c'est mon cas, hélas !), peut se faire publier en France avec un travail qui a été conçu directement pour le marché français. Alors, les lecteurs espagnols voient revenir chez eux des bouquins d'auteurs espagnols publiés, en première édition, en français et traduits en espagnol !"
Porcel : "Morvan a une vision très graphique de ses scénarios. Il pense, il écrit en images : c'est une chance pour le dessinateur !"
Signe d'une amitié véritable ? Ces deux auteurs déjà classiques n'ont pas besoin de se rencontrer à toute occasion : Porcel, dans les environs de Grenade, et Morvan, en France, préservent leurs petits mondes bien à eux qui, contrairement aux planètes et aux météorites, ne provoquent que du bon lorsqu'ils se rencontrent.
La preuve, ce Reality Show, dont la parution du deuxième s'inscrit déjà dans l'impatience.
Réjouissant et rafraîchissant de voir l'amitié à l'œuvre dans la bande dessinée, non ?
Alain De Kuyssche