Jean Harambat recherche la pièce disparue de Shakespeare !
Une chasse au trésor, au cœur de l’Angleterre du XVIIIe siècle, à la recherche d’une pièce disparue de William Shakespeare ! Interview de Jean Harambat, l'auteur de cette pierre philosophale littéraire.
Après la comédie d’espionnage avec Opération Copperhead (Prix René Goscinny 2018), puis le roman à énigme avec Le Detection Club, Jean Harambat clôt son triptyque dédié à la littérature anglaise avec ce roman d’aventure sous forme d’hommage au théâtre de Shakespeare !
Back to topLa Pièce manquante
En 1744, Margaret « Peg » Woffington, actrice vedette d’un théâtre londonien, en a assez d’être cantonnée à des rôles d’homme et rêve de jouer un grand personnage féminin.
Son majordome Sancho, un descendant d’esclaves féru de littérature, lui souffle une idée : elle pourrait être Dorotea, la vibrante héroïne de Cardenio, une pièce que Shakespeare a tirée d’un épisode de Don Quichotte de Cervantès. Peg est enthousiaste, elle sera Dorotea ! Oui mais… la pièce a disparu !
Sans hésiter, Peg et Sancho se lancent à sa recherche. S’ensuit une quête rocambolesque, au cours de laquelle le bondissant duo devra surmonter bien des obstacles et déjouer les manœuvres de tous ceux qui convoitent aussi le précieux manuscrit…
Back to topUne déclaration d'amour à la littérature
À partir de faits et de personnages réels – les protagonistes ont vraiment existé, la pièce Cardenio de Shakespeare a bel et bien disparu – et s’appuyant sur une solide documentation, Jean Harambat tisse une intrigue endiablée et foisonnante digne d’un feuilleton de Dumas.
Rebondissements et péripéties se succèdent dans une Angleterre géorgienne peinte d’un trait léger et dynamique. Les dialogues font mouche, les répliques fusent, les insultes sont fleuries. Mais derrière l’aventure, l’humour, les héros sympathiques et la formidable galerie de personnages secondaires (acteur arrogant, brigands, pirates, comtesse, ladies fanatiques de Shakespeare…), La Pièce manquante est une déclaration d’amour à la littérature.
Shakespeare est un tel monument que l’idée que certaines de ses pièces aient pu disparaître avait frappé mon imagination. Cardenio, qui est basé sur un épisode de Don Quichotte, faisait le lien avec Cervantès, et la réunion des deux grands génies du XVIIe, c’était pour moi une pierre philosophale littéraire !
Jean Harambat
Construit en trois actes, convoquant Shakespeare et Cervantès, le récit rend hommage au théâtre, aux romans initiatiques et d’aventures. L’auteur s’interroge avec finesse sur le rôle du livre et de la lecture tout en abordant par touches subtiles des questionnements très actuels sur la place de la femme, l’émancipation, l’identité et le racisme.
Back to topInterview de Jean Harambat
En commençant Opération Copperhead, aviez-vous déjà le projet d’un triptyque autour de la culture et de la littérature anglaise ?
Jean Harambat : Pas vraiment. Avec Opération Copperhead, j’avais voulu rendre un hommage à un certain cinéma d’espionnage britannique.
C’est en allant dans l’univers policier avec Le Detection Club que je me suis dit que je pourrais envisager un triptyque avec trois genres forts à explorer en bande dessinée : la comédie d’espionnage, la comédie policière et la comédie d’aventures. Au-delà de leur aspect littéraire, leur point commun est de proposer du mouvement et de l’action ; ce qui convenait bien à la bande dessinée.
D’où vous est venue l’idée de La Pièce manquante ?
Au départ, je voulais faire une course au trésor dans laquelle le trésor serait un livre. Je me suis rappelé une conférence de Roger Chartier (historien du livre et de la lecture, N.D.R.), que j’avais entendue il y a longtemps, sur les pièces perdues de Shakespeare, comme Cardenio.
Shakespeare est un tel monument que l’idée que certaines de ses pièces aient pu disparaître avait frappé mon imagination. Cardenio, qui est basé sur un épisode de Don Quichotte, faisait le lien avec Cervantès, et la réunion des deux grands génies du XVIIe, c’était pour moi une pierre philosophale littéraire !
Ensuite, je me suis demandé qui pourrait bien chercher Cardenio, pour quelles raisons. Le livre de Chartier sur Cardenio m’a conduit au XVIIIe siècle, car c’est là qu’il se passe des choses intéressantes autour de cette pièce disparue : le manuscrit réapparaît, est réécrit, disparaît de nouveau…
Comment avez-vous trouvé le personnage de Peg Woffington, une actrice qui a réellement existé ?
Dans son livre, Chartier évoque le Shakespeare Ladies Club, ces dames de l’aristocratie qui défendaient le Barde. De fil en aiguille, je suis tombé sur Peg Woffington, une actrice irlandaise à qui l’on attribuait des rôles masculins, ce qui permettait au public de voir ses jambes, que l’on désignait comme les « plus belles de Londres ».
Il y avait quelque chose d’insatisfaisant dans ces rôles pour une femme qui aurait voulu incarner un grand personnage féminin.
Qu’en est-il de son acolyte Sancho ?
J’avais d’abord flanqué Peg d’un domestique à la Scapin. Et puis j’ai lu des choses sur Ignatius Sancho, nommé ainsi parce qu’il ressemblait à l’écuyer de Don Quichotte. Il a eu une existence étonnante. Né sur un navire négrier, il a été majordome de la famille Montagu avant de prendre son envol et de devenir un personnage public.
Ce Sancho, il me le fallait dans mon histoire ! Pour articuler mon récit, j’ai triché de quelques années sur les dates et je l’ai vieilli un peu pour que tout rentre dans une relative unité de temps. Cela donne de petits anachronismes… Mais Peg et lui se sont certainement croisés dans la réalité.
J’ai aimé dessiner ce duo, j’ai eu plaisir à leur compagnie. C’était amusant de les faire avancer comme un Quichotte au féminin et un Sancho d’un nouveau genre, d’essayer de les rendre vivants en m’appuyant sur des éléments authentiques. Utiliser de tels personnages, c’était aussi une façon de réveiller la comédie d’aventures.
Quelles étaient vos influences graphiques pour cet album ?
Pour qu’il y ait une unité sur les trois histoires, je pensais dessiner comme pour Le Detection Club et Opération Copperhead. Après des essais, j’ai trouvé que c’était dommage de se priver de la tradition de la caricature du XVIIIe siècle en Angleterre. J’ai donc renoncé à un dessin plus schématique qui aurait été un peu trop anachronique.
Pour représenter le XVIIIe siècle anglais, encore un peu baroque, les foules, les rues, je me suis beaucoup appuyé sur le génial dessinateur Thomas Rowlandson, qui a été le peintre de son époque. J’imaginais aussi des couleurs tirant vers les ocres, des atmosphères dorées, et un énorme travail a été fait dans ce sens par Jean-Jacques Rouger.
À travers vos protagonistes, vous abordez des thématiques actuelles, la place des femmes, le racisme… Était-ce volontaire ?
Les personnages se sont présentés à moi pendant mes recherches, et ça m’a paru intéressant de placer dans un contexte différent des thèmes qui participent du débat contemporain. J’ai lu des études qui parlaient d’ailleurs de la condition des actrices à l’époque. Elles avaient déjà le regret d’être prisonnières de leur beauté et d’avoir des rôles qui s’amoindrissaient en vieillissant. Mais Peg veut avant tout être respectée en tant que femme.
En ce qui concerne Sancho, même si la présence des Noirs en Angleterre à l’époque était commune et qu’il n’y avait semble-t-il pas les mêmes problèmes de racisme qu’aux États-Unis, lui et sa famille ont parfois été malmenés. Mais certains milieux l’ont aussi très bien accueilli, il a pu réussir… C’était intéressant d’explorer tout cela.
La littérature est le fil rouge de La Pièce manquante. Quelle réflexion aviez-vous envie de livrer ?
À travers la quête de Peg Woffington, il y a l’idée qu’un grand rôle est toujours lié à un grand texte et qu’un grand texte dévoile nécessairement une part de notre nature. La littérature apporte une complexité, une subtilité qui nous permettrait sans doute d’explorer certaines questions actuelles de façon plus pertinente, plus apaisée, moins simpliste. Elle les apporte parfois dans la bonne humeur, de façon oblique.
Dans le roman d’aventures, il y a du plaisir, quelque chose d’entraînant qui renvoie à l’enfance mais que Dumas ou Stevenson ont su enrichir de profondeur… Ce trait d’union entre le plaisir, le divertissement et une forme d’invitation à la réflexion, c’est ce que j’essaie de faire en bande dessinée.
Ici, derrière le masque de l’action et des péripéties, j’aimerais que l’on voie que tout n’est pas conflit, que l’on peut trouver une forme d’apaisement, quelles que soient les inégalités et les revendications. Sans nier ni le mal, ni la gravité, ni la mort, avoir foi en des moments de grâce, en une forme de réconciliation possible, même si elle n’est que temporaire, et que le doux coexiste toujours avec l’amer.
On a besoin de croire, ne serait-ce que pour construire notre vie, que l’issue n’est pas désespérée. C’est pourquoi j’avais envie que l’histoire se termine par une farandole comme dans les comédies de Shakespeare.
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Bonne lecture
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