Elémentaire mon cher Hérisson
Créé dans la magazine Charlie-Mensuel en 1983, Dick Hérisson évoque avec bonheur le genre policier incarné par Sherlock Holmes ou Harry Dickson. Mais, au fil des albums, Didier Savard a su développer un univers personnel, riche et séduisant. Le nouvel album, Le 7e Cri, constituant le chaînon manquant entre Les 7 Boules de cristal et Hamlet !Dick Hérisson, Harry Dickson : un quasi-anagramme. Revendiquez-vous cette filiation au genre policier, à la littérature populaire à la façon d’un Jean Ray ?Tout à fait. Ça m’évoque d’ailleurs un souvenir précis, à l’époque où j’étais prof d’anglais à Arles. Un soir d’hiver venteux, j’étais dans un petit restaurant tranquille et je lisais un épisode de Harry Dickson. C’est véritablement là qu’est né l’idée de Dick Hérisson ! Quand j’ai créé le personnage, j’ai naturellement choisi de l’installer à Arles.Dans une interview vous déclariez que Dick Hérisson n’était pas un personnage “positif”…Dick Hérisson est d’abord un personnage “prétexte”. Ce n’est pas un personnage positif ou négatif, il me sert à raconter des histoires, il en est le fil de conducteur, il est en quelque sorte transparent. En soi, Dick Hérisson est un stéréotype du détective tel qu’on l’imagine. En revanche, certains de mes personnages secondaires offrent parfois plus de consistance.Comment avez-vous été amené à coécrire le feuilleton radiophonique Le Coffre rouge diffusé sur France-Inter ?C’était une demande de la direction de l’époque qui, après avoir confié à Tardi un premier feuilleton radiophonique, m’a proposé d’en écrire un autre en compagnie de Sophie Loubière. Le responsable de l’époque était un lecteur de Dick Hérisson et m’avait notamment suggéré d’écrire quelque chose proche de l’ambiance de l’album La Conspiration des poissonniers. Ce mélange de fantastique lovecraftien, et de saga archéologique à la Indiana Jones lui plaisait bien. On a écrit une centaine d’épisodes, parfois rattrapés par le temps, mais j’en garde un très bon souvenir.Une anecdote ?Je parlais de bon souvenir mais il est pourtant arrivé un événement dramatique durant une séance d’enregistrement. Il s’agissait alors du deuxième feuilleton qui devait s’appeler La Malédiction de Mornefange. L’un des acteurs, qui prêtait sa voix, est mort d’une crise cardiaque alors qu’il jouait une séquence agitée où il devait hurler “Mort au sorcier !”… C’est suite à ça que le feuilleton a été rebaptisé Le Mystère de Mornefange !La malédiction : c’est justement un thème récurrent dans Dick Hérisson.C’est quelque chose de frappant, forcément. Je me suis toujours intéressé à ce sujet, j’avais même tenté de recenser tous les livres et films portant le mot malédiction. Un des albums de Dick Hérisson s’appelle d’ailleurs L’Opéra maudit.Dans Le 7e Cri, Dick Hérisson retrouve ses deux régions de prédilection : la Provence et la Bretagne.Je dois avouer que l’épisode breton est un peu gratuit. Mais j’adore ces ambiances bretonnes mystérieuses et puis j’avais besoin d’un lieu avec un phare pour l’une des scènes. La Bretagne s’imposait !On imaginerait bien Dick traversant le Channel pour se rendre en Angleterre, au pays de Sherlock Holmes.Sans doute, mais cela ne ferait que renforcer l’aspect stéréotype du personnage à cause de ses références très présentes dans la littérature anglaise policière. Dick Hérisson, qui est quand même un personnage en décalage avec cet univers, a besoin d’avoir sa propre identité.Le 7e Cri ne serait-il pas un album où vous réglez quelques comptes avec vos parents, à l’image de Hamlet ?Sans doute, oui… Cet album a été une bonne psychanalyse (rires). J’aurais presque la prétention d’avoir fait plus tordu que Shakespeare car les rapports entre les personnages sont pour le moins peu clairs ! Si on me demandait de résumer cet album en une phrase, au débotté, je serais bien embarrassé !Faire un album de Dick Hérisson est une entreprise douloureuse ?Faire un album comme celui-là met des choses très personnelles en jeu, qui touchent l’inconscient. On se découvre à chaque fois. C’est aussi pour ça que mes albums font appel au fantastique et ne se limitent pas à la poursuite d’une simple enquête rationnelle avec un côté parodie de roman policier. Ça va plus loin, il y a une autre dimension.Le fantastique est omniprésent.Je tiens beaucoup à cette ambiance fantastique, ou plus exactement étrange, dans laquelle baigne Dick Hérisson. Le 7e Cri traduit bien cet univers “tordu” et trouble. Aucun personnage n’est véritablement clair.Votre dessin s’apparente à la ligne claire. Pensez-vous, à l’instar d’un Tardi, avoir trouvé votre propre style ?Pour moi un style ne se limite pas au dessin, il induit aussi le ton du récit. Je ne fais pas du Jacobs ou du Tardi, ni même du Hergé. Moi c’est moi ! Ceci dit, je ne peux pas cacher mes influences, je respecte beaucoup ces auteurs et il y a des parentés. Mais je fais d’abord du “Savard”. A propos de Tardi et de nos nouveautés respectives (Le 7e Cri et La Débauche) il y a une coïncidence un peu gênante : le début de nos histoires se passent toutes deux au Jardin des Plantes. C’est un pur hasard, quand j’ai débuté Le 7e Cri, il y a deux ans, je ne pouvais pas imaginer que Pennac et Tardi prévoyaient la même chose ! Je parie qu’à tous les coups des lecteurs vont croire que c’est un empreint volontaire.La disparition de Forest, avec lequel vous avez travaillé, vous a-telle marqué ?Profondément.François Le Bescond