Des vacances aventureuses, avec Barbe Rouge.
En juillet, paraît la dernière compilation des aventures du Démon des Caraïbes, par Christian Gaty et Jean Ollivier, ainsi que le dernier volume du cycle de La Jeunesse de Barbe Rouge, Les Mutinés de Port-Royal, dessiné par Daniel Redondo et écrit par Christian Perrissin. Ce dernier, qui a également repris la scénarisation de la série mère, avec Marc Bourgne au dessin, nous raconte sa première rencontre avec le pirate (Charlier ?) le plus célèbre de la bande dessinée.
J’ai découvert l’univers de J.-M. Charlier dans Le Vaisseau Fantôme. Un choc. J’avais huit ans, c’était un cadeau de… Communion. Que cette première histoire de Charlier aie été un Barbe-Rouge n’a rien d’étonnant, je me passionnais déjà pour la Marine à voile. Ce qui m’a tout de suite troublé dans le Vaisseau Fantôme, c’est que Barbe-Rouge en est le personnage principal, mais comme c’est un pirate sanguinaire, à la trogne patibulaire, je ne parvenais pas à m’identifier à lui. (J’étais communiant…) Et comme il me fallait à tout prix un héros pour pouvoir continuer ma lecture en toute quiétude, c’est le second du Faucon Noir, Moralès, qui a eu ma faveur. Je me souviens parfaitement du déclic : une vignette, au tout début du récit, dans laquelle Moralès avoue avoir peur du mystérieux vaisseau qui croise, tous feux éteints, la route du Faucon Noir. J’aurais dû me méfier, un héros qui a peur, ce n’est pas bon signe. Mais au milieu de cet équipage de brutes épaisses, un peu d’humanité me rassurait : à moi aussi, il fichait une sacrée trouille, ce vaisseau fantôme. Alors, va pour Moralès…
Hélas…
Quinze pages plus loin, Moralès commet à mes yeux, l’irréparable : Pendant que Barbe-Rouge et une partie des pirates sont partis piller l’or de Vera Cruz, Moralès et ses mutins s’emparent du Faucon Noir et abandonnèrent leurs frères de la côte à l’ennemi ! Je ne pouvais accepter pareille trahison. Pourtant, quand on y réfléchit bien, trahir un démon… y avait pas de quoi fouetter un chat. Mais… j’étais communiant.
Exit Moralès et adieu Barbe-Rouge, massacré par les troupes espagnoles. Plus de protagonistes et je n’en étais qu’à la moitié du bouquin ! Je me raccroche à Baba et Triple Patte, prisonnier à fond de cale. Ils ne m’étaient pas antipathiques, ces deux-là, mais je sentais bien qu’ils n’étaient que des seconds rôles, des faire-valoirs. Tant pis, je les accompagne jusqu’en Bretagne, où ils retrouvent le fils adoptif de Barbe-Rouge : Eric. Un jeune et beau capitaine, courageux et fin bretteur. Il était enfin là, mon héros ! Mais c’était aussi la fin de l’album. Vite, la suite !
Trois mois à patienter, je l’aurais pour mon anniversaire… J’ai donc neuf ans quand je retrouve Eric, bien décidé à m’embarquer avec lui pour la Terre de Feu, cap sur L’Île de L’Homme Mort. Le récit promet d’être captivant. Je l’ai trouvé d’un fade !
Une histoire pourtant bien ficelée : suspense et coups de théâtre, tempêtes et abordages… bref, du Charlier en grande forme. Mais je ne retrouvais pas la fascination du Vaisseau Fantôme. Eric m’ennuyait. Son honnêteté, son intégrité, sa force physique et morale… il était trop parfait, et j’en regrettais presque les faiblesses d’un Moralès. Je n’avais qu’une hâte, retrouver mon Démon des Caraïbes (qui n’était pas mort, vous l’aurez deviné).
Avec le Vaisseau Fantôme, Charlier m’avait ouvert les yeux sur un univers bien moins manichéen que celui de mes lectures précédentes. Grâce à lui, j’allais avoir envie de découvrir toute une pléiade de personnages toujours plus complexes. Blueberry d’abord. Puis Corto Maltese, Jonathan, Alak Sinner, Vic Valence…
Et si, aujourd’hui, on doit établir une passerelle entre le Barbe-Rouge de Charlier et ma vision du pirate, elle se situe là : dans ma volonté de naviguer en eaux troubles, dans le sillage de compagnons de fortune sans gloire et sans panache. Mais tellement humains.
Alors, merci Monsieur Charlier
Christian Perrissin