David B. au rendez-vous des ogres
Par politesse ?Par pudeur ? Par… ? David B. (David Beauchard) tient à une apparence d’une stricte neutralité. Ouvrez un de ses bouquins. Cette impression disparaît : vous êtes chez un des auteurs tout à la fois parmi les plus professionnels, les plus originaux et les plus humains que Dame BD ait jamais eu la joie d’accueillir dans son giron. Après Le Capitaine écarlate (avec Emmanuel Guibert) chez Dupuis, il publie, en juin, en compagnie de Christophe Blain, Les Ogres, dans la collection “Poisson Pilote” de Dargaud.
Les Ogres sont la suite de La Révolte de Hop-Frog ?
Hé non, ce n’est pas la suite. C’est une autre histoire où l’on retrouve Hiram Lowatt et Placido et… Hop-Frog dans un petit rôle de figuration intelligente.
Hop-Frog dégageait, me semble-t-il, une forte impression de chaleur, de quasi-sensualité… Pour Les Ogres, Christophe Blain a modifié sa façon de travailler… Il règne là une atmosphère sombre, bleutée, froide… Comment ça se passe entre vous deux ?
Sur le plan sensuel, ça se passe bien. Sur le plan du travail aussi. C’est moi qui ai proposé à Christophe une histoire se passant en Alaska, je lui ai promis en échange que la prochaine se déroulerait à bord d’un train. A part ça, l’histoire avance en discutant, en échangeant des idées, en allant voir des westerns plus ou moins bons au cinéma.
Les Ogres, comme Le Capitaine écarlate, est une histoire fantastique, mais pas que cela. Qu’est-ce que vous glissez d’autre dans vos scénarios pour qu’on ait ainsi un peu de mal à les cataloguer ?
J’essaye de faire en sorte que mon fantastique fasse ressortir le côté humain des personnages. Je ne fais pas des Capitaines Écarlate ou des Ogres pour mettre en scène des personnages fantastiques, ils sont aussi humains que les autres.
Bien que ce ne soit, paraît-il, pas très vendeur, je trouve que Les Ogres sentent… la mort. Vous êtes obsédé par elle ?
Oui, la mort m’obsède. J’ai vu jusqu’à l’âge de 17 ans mon frère mourir un peu trois fois par jour et j’en ai gardé un sentiment de connivence et de dégoût avec ce quelque chose que l’on représente par un squelette armé d’une faux. Ce sigle venu du fond des âges me convient assez bien.
Le fond de l’intrigue des Ogres, c’est le cannibalisme ?
L’idée de départ du scénario, c’est le génocide plus que le cannibalisme qui est pour les ogres de mon histoire le moyen le plus abouti d’exploiter leurs victimes jusqu’au bout.
Est-ce que le cinéma allemand, je pense à M. le Maudit, a eu une influence sur vous ?
Bien sûr, outre ses qualités plastiques, ce cinéma est un cinéma du malaise qui a très bien synthétisé les peurs et les espérances obscures de son époque. C’est intéressant de voir que les artistes de cette période (peintre, poètes, cinéastes) ont utilisé les différentes sorties que ces peurs et ses espérances leur offraient. Ils se sont partagés entre la mort sous les coups des nazis, le suicide, l’exil et la résistance ou le ralliement au nazisme. Qu’en sera-t-il de nous ? Mais nous ne vivons pas la même époque…
Vous êtes passé par l’Ecole Duperré, à Paris…
J’étais à Duperré dans les années 70-80 où j’ai été élève de Georges Pichard en cours de publicité et où je me faufilais aux cours de bandes dessinées auxquels (question de filière choisie) je n’avais pas le droit d’assister. J’ai décidé d’aller à Duperré uniquement parce que je savais que Pichard y donnait des cours de bandes dessinées. C’était un régal. Il donnait des conseils avec une grande gentillesse, mettait en pièce gens et choses qu’il n’aimait pas avec une méchanceté et une mauvaise foi réjouissantes et se lançait dans d’éblouissants monologues sur l’histoire de l’art.
C’était un régal…
David qui joue ? David qui meurt ?… Si vous deviez réaliser un autoportrait, comment vous dessineriez-vous ?
Autre personnage que vous avez côtoyé, Jacques Lob (le cocréateur, entre autres, de Blanche Epiphanie). En moins rond… moins moustachu et davantage… cruel (?), je trouve que vous lui ressemblez un peu ?
Je n’ai pas le sentiment de ressembler à Lob, mais peut-être que ma cruauté m’aveugle. J’ai le sentiment d’avoir comme lui une passion pour raconter les histoires et j’ai reçu le prix Jacques-Lob avec plaisir.
Vous avez eu des débuts classiques, chez Glénat, à Okapi… C’était dans les années 80… Vous souvenez-vous de cette période ?
Les années 80 étaient une période lamentable pour la bande dessinée, tout tournait autour du concept du “Retour de la grande aventure” emprunté à Spielberg et les séries les plus creuses fleurissaient, associant scénaristes alignant les poncifs et dessinateurs comateux. Affreux.
Puis vient l’Association…
D’où la nécessité de créer l’Asso bien sûr, parce que nous ne trouvions nulle part où nous faire publier ou plutôt que nous ne voulions surtout pas nous faire publier chez ces égoutiers de la bande dessinée. Nous avions envie d’air frais (et de bière pour certains).
Depuis, pas mal d’eau a coulé. C’est devenu, ces temps-ci, un sujet de débat : que pensez-vous de la récupération, par les éditeurs installés, style Dargaud ou Dupuis, de toute cette génération d’auteurs, nés dans de petites structures. Est-ce que le mot “récupération” vous paraît le bon ?
C’est le travail accompli à et par l’Asso qui m’a permis de rentrer chez Dargaud ou Dupuis. Je ne me sens pas récupéré, je continue à travailler régulièrement pour l’Asso, je participe aux prises de décision, je la représente dans certains festivals. Je ne suis pas devenu un auteur Dargaud, je suis un auteur qui, pour gagner sa vie et par plaisir, au fil des rencontres, travaille pour plusieurs éditeurs.
Viendront ensuite Le Cheval blême et puis le début de L’Ascension du haut-mal.
Le Cheval blême était une sorte de mise en jambe avant d’affronter L’Ascension du Haut-Mal dont je n’ai pas encore atteint le sommet. C’est un travail auquel je pense depuis vingt ans et qui était inévitable pour des raisons évidentes.
Pour L’Ascension du Haut-Mal, vous avez obtenu le prix du meilleur scénario au dernier festival d’Angoulême. Quelles ont été vos impressions en apprenant que ce prix vous avait été attribué pour ce livre-là ?
J’ai été content. Comme dit Edmond Baudouin : “Un prix c’est une caresse qu’on vous fait.”
Mais je ne cacherai pas que le travail que je fais avec L’Ascension du Haut-Mal va, pour moi, bien au-delà des prix ou des compliments que je peux recevoir.
Qu’est-ce qui vous fait éclater de rire ?
Je ne peux pas raconter la dernière fois où j’ai éclaté de rire.
Trop de cruauté là-dedans, les gens et sans doute vous-même ne comprendriez pas. Je me rends bien compte qu’aux yeux des gens, j’ai l’esprit un peu trop tordu.
Guy Vidal